Après avoir attendu tout le début de semaine – le temps de voir ce que faisaient mes collègues - c'est décidé, j'ai bien réfléchi, je vais vous révéler toute la vérité qui peut être dite par un psychiatre, sur le fait-divers désormais mondialement connu sous le nom d' « affaire DSK ».
Avant cela il est peut-être nécessaire de rappeler ce qu'est un « psy ». Avec des nuances selon le métier exercé (psychiatre, psychologue, psychanalyste, psychothérapeute), on peut résumer en disant que c'est un professionnel de la santé psychologique, formé à diagnostiquer, évaluer et traiter les différentes formes de souffrance mentale ou émotionnelle qui lui sont exposées par des patients. La rencontre, indispensable (que le patient soit volontaire ou non, comme dans le cas des soins sous contrainte), prend la forme d'un « colloque singulier » au cours duquel, par un contrat tacite et non écrit (mais dont les conditions sont encadrées par la loi), le patient offre l'intimité de son fonctionnement psychique en échange de l'engagement, par le praticien, de mettre en ouvre ce qui est utile pour le soulager. Afin d'assurer l'autre condition nécessaire qu'est la « neutralité bienveillante », une rémunération est convenue, qu'elle soit financière ou symbolique, directe ou indirecte, elle permet d'éviter au patient d'être parasité par un sentiment de dette, et aide le praticien à garder une distance suffisante pour être libre dans ses actions (on n'est pas ici dans une aide de type caritatif bénévole). Enfin, le praticien est tenu, par des règles éthiques anciennes (Hippocrate) mais aussi par la loi (secret médical ; loi Kouchner du 4 mars 2002...), de garder une discrétion et un secret absolu tant sur les informations médicales (diagnostic, traitement...) que sur les informations factuelles privées auxquelles les rencontres lui ont permis d'accéder.
Dominique Strauss-Kahn, je ne l'ai jamais rencontré, je n'ai jamais eu avec lui un entretien diagnostique (l'examen clinique du psychiatre), il n'a jamais parlé avec moi de son intimité psychique. L'aurait-il fait ? Ce serait alors de l'ordre d'un secret, partagé de manière exclusive entre le patient d'un côté et moi de l'autre, gardien unique désigné par sa confiance.
Ben voilà.
Oui. Ben voilà. Ca y est ! C'était ça, mon scoop... Y a rien à dire !!!
Faut-il dès lors s'interdire de penser, de commenter, de discuter, parce qu'on est « psy » ? Certes non ! Mais il faut affirmer et affirmer encore que les psys, quels qu'ils soient, quels que soient leur talent et la taille de leur égo, n'ont rien à dire sur les gens qu'ils ont rencontrés (ils n'en ont pas le droit) et encore moins sur ceux qu'ils n'ont pas rencontrés. Dans ce dernier cas, on navigue en pleine spéculation, qui plus est sur la base d'informations forcément parcellaires, dont on apprend souvent a posteriori en ce qui concerne des personnalités publiques, qu'elles étaient fausses ou manipulées. Et pourtant, que n'a-t-on pas entendu depuis dimanche... Il est d'autant plus dérangeant d'observer ce type de dérapage de la part de psychanalystes, Freud lui-même ayant souvent insisté sur le danger des « interprétations sauvages », balancées à la figure d'un patient qui n'en était pas encore là, ou pire encore à propos d'un tiers inconnu, sur la base d'un témoignage.
L'avis du psy qui s'exprime sans avoir pu utiliser aucun de ses outils habituels (rencontre, neutralité, secret... ), aura peu de chance d'être meilleur ou plus pertinent que celui du menuisier, du cinéaste, ou de sa concierge. A la rigueur, notre connaissance professionnelle de l'esprit humain nous permet quelquefois de jeter un éclairage intéressant sur tel ou tel aspect d'un personnage connu, ou même sur certaines actions collectives, mais cela doit se faire toujours avec maintes réserves, et dans la retenue. Je peux vous parler de la psychologie de votre tante Marcelle – que vous n'avez pas connue – aussi bien que de celle de Ramsès II, ou de Georges Marchais, je vous raconterai une belle histoire, au sein de laquelle quelques mots feront du sens pour vous... Mais avec quelle fiabilité ? La frontière est étroite avec ce qui relève de l'opinion personnelle. Laquelle est loin d'être sans valeur (en général...), mais ne doit certainement pas être labellisée de l'expertise d'un « pro ».
On n'est pas sortis de l'auberge.
Bertrand Gilot