Le tout récent livre de Jean-Yves Pérol « Vaincre les insomnies et l’anxiété » (*), se fixe une ambition intéressante, aux antipodes des mouvements actuels de la psychiatrie. A l’heure où l’on attribue un nom de maladie à toute émotion ou réaction s’écartant d’une norme de plus en plus étroite, l’auteur nous invite à effectuer la démarche diamétralement opposée.
Ce psychiatre clermontois nous délivre un discours enthousiaste qui, par un recours constant aux théories darwiniennes de l’évolution des espèces, ramène à la normalité bon nombre de situations que nous avons appris, médecins et patients, à considérer comme des « symptômes » de « maladies ». Par exemple, éprouver de l’inquiétude face à un danger (même abstrait ou ténu), mal dormir lorsque l'environnement n'est pas maîtrisé, tout cela de manière différente d’un individu à l’autre, c’est peut-être totalement normal et adapté, c'est ce qui augmente nos chances de survie ! Cela paraîtra évident à certains, mais il n’est pas inutile d’y insister dans un pays qui bat depuis des décennies les records de consommation de tranquillisants, et alors que les Français sont plus pessimistes que les Irakiens…
Ce recadrage du symptôme dans une perspective évolutionniste (et plus globalement, anthropologique) me touche particulièrement. Parce que je l’utilise dans ma pratique quotidienne – avec des angles différents toutefois – et que je constate le soulagement qu'apporte aux patients cette réflexion. On redimensionne l’émotion éprouvée, le symptôme, mais aussi l’individu, et si cela peut donner quelquefois le vertige c’est surtout très rassurant. L’homme ne comprend pas toujours ce qui lui arrive, mais il est solide. Cet animal a mis des centaines de milliers d’années à s’adapter, par sélection darwinienne, à un environnement naturel donné (forêt, savane…), porteur d’un équipement biologique donné (« ni croc ni cornes ni griffes ») et social (groupes nomades hiérarchisés). Or nous vivons dans un environnement moderne qui n’a plus rien à voir avec ce à quoi nous sommes adaptés : disparition du danger lié aux prédateurs, recherche de nourriture réduite à une collecte hebdomadaire et sans surprise, monogamie obligatoire, solitude fréquente, habitat sédentaire… Nos réactions spontanées, instinctives, émotionnelles et corporelles sont pourtant les mêmes que dans ce lointain passé pré-civilisationnel. Le propos de J-Y. Pérol se centre sur l’émotion et les réactions. J’ai simplement envie d’y ajouter l’importance que revêt, aussi, la mise en jeu du système nerveux végétatif (le « système d’alarme » de l’organisme, dont les fondements sont communs à tous les vertébrés) et qui explique nombre de nos réactions, et même des pathologies psychosomatiques comme l’a très pertinemment démontré (dans l’indifférence générale du corps médical) un auteur comme Henri Laborit.
A travers cette démarche qui déshabille notre catalogue de syndromes - que d’autres cherchent à allonger à longueur de congrès - l’auteur nous libère d’autant de fausses indications de prescriptions de psychotropes, tout en rappelant les risques de ces médicaments à court terme (se couper de nos émotions les plus utiles) et à long terme (soupçon de favoriser les démences séniles). Il reste ainsi dans l’approche pragmatique qui caractérise bien souvent le psychiatre libéral, le « ni-ni » que comprennent mal les collègues plus dogmatiques : on ne s’appuie ni sur le tout-psychanalytique, dont la pertinence est plus qu'inconstante dans la réalité quotidienne, ni sur le tout-médicament.
Rédigé dans un style agréable, le livre de Jean-Yves Pérol est accessible à tous, mais il ouvrira aussi des pistes de réflexion et d’inspiration aux professionnels de la santé et de la psychologie. Ces derniers auraient sans doute aimé trouver des développements plus approfondis (notamment sur la question des troubles post-traumatiques) ou encore une définition plus nuancée de la frontière entre « vraies maladies » et réactions explicables par l’approche évolutionniste. Mais ceux-ci ne sont pas, il est vrai, le principal public visé. En tous cas on ne démentira pas l’illustration de couverture : « ce livre devrait être remboursé par la Sécurité Sociale ! ».
BG
« Vaincre les insomnies et l’anxiété, Darwin plutôt que Freud ? », Jean-Yves Pérol et Romain Allais, éditions Tournez la Page, 2012, 191 pages.