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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 15:11

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Le tout récent livre de Jean-Yves Pérol « Vaincre les insomnies et l’anxiété » (*), se fixe une ambition intéressante, aux antipodes des mouvements actuels de la psychiatrie. A l’heure où l’on attribue un nom de maladie à toute émotion ou réaction s’écartant d’une norme de plus en plus étroite, l’auteur nous invite à effectuer la démarche diamétralement opposée.

 

Ce psychiatre clermontois nous délivre un discours enthousiaste qui, par un recours constant aux théories darwiniennes de l’évolution des espèces, ramène à la normalité bon nombre de situations que nous avons appris, médecins et patients, à considérer comme des « symptômes » de « maladies ». Par exemple, éprouver de l’inquiétude face à un danger (même abstrait ou ténu), mal dormir lorsque l'environnement n'est pas maîtrisé, tout cela de manière différente d’un individu à l’autre, c’est peut-être totalement normal et adapté, c'est ce qui augmente nos chances de survie ! Cela paraîtra évident à certains, mais il n’est pas inutile d’y insister dans un pays qui bat depuis des décennies les records de consommation de tranquillisants, et alors que les Français sont plus pessimistes que les Irakiens


Ce recadrage du symptôme dans une perspective évolutionniste (et plus globalement, anthropologique) me touche particulièrement. Parce que je l’utilise dans ma pratique quotidienne – avec des angles différents toutefois – et que je constate le soulagement qu'apporte aux patients cette réflexion. On redimensionne l’émotion éprouvée, le symptôme, mais aussi l’individu, et si cela peut donner quelquefois le vertige c’est surtout très rassurant. L’homme ne comprend pas toujours ce qui lui arrive, mais il est solide. Cet animal a mis des centaines de milliers d’années à s’adapter, par sélection darwinienne, à un environnement naturel donné (forêt, savane…), porteur d’un équipement biologique donné (« ni croc ni cornes ni griffes ») et social (groupes nomades hiérarchisés). Or nous vivons dans un environnement moderne qui n’a plus rien à voir avec ce à quoi nous sommes adaptés : disparition du danger lié aux prédateurs, recherche de nourriture réduite à une collecte hebdomadaire et sans surprise, monogamie obligatoire, solitude fréquente, habitat sédentaire… Nos réactions spontanées, instinctives, émotionnelles et corporelles sont pourtant les mêmes que dans ce lointain passé pré-civilisationnel. Le propos de J-Y. Pérol se centre sur l’émotion et les réactions. J’ai simplement envie d’y ajouter l’importance que revêt, aussi, la mise en jeu du système nerveux végétatif (le « système d’alarme » de l’organisme, dont les fondements sont communs à tous les vertébrés) et qui explique nombre de nos réactions, et même des pathologies psychosomatiques comme l’a très pertinemment démontré (dans l’indifférence générale du corps médical) un auteur comme Henri Laborit.

 

A travers cette démarche qui déshabille notre catalogue de syndromes - que d’autres cherchent à allonger à longueur de congrès - l’auteur nous libère d’autant de fausses indications de prescriptions de psychotropes, tout en rappelant les risques de ces médicaments à court terme (se couper de nos émotions les plus utiles) et à long terme (soupçon de favoriser les démences séniles). Il reste ainsi dans l’approche pragmatique qui caractérise bien souvent le psychiatre libéral, le « ni-ni » que comprennent mal les collègues plus dogmatiques : on ne s’appuie ni sur le tout-psychanalytique, dont la pertinence est plus qu'inconstante dans la réalité quotidienne, ni sur le tout-médicament.

 

Rédigé dans un style agréable, le livre de Jean-Yves Pérol est accessible à tous, mais il ouvrira aussi des pistes de réflexion et d’inspiration aux professionnels de la santé et de la psychologie. Ces derniers auraient sans doute aimé trouver des développements plus approfondis (notamment sur la question des troubles post-traumatiques) ou encore une définition plus nuancée de la frontière entre « vraies maladies » et réactions explicables par l’approche évolutionniste. Mais ceux-ci ne sont pas, il est vrai, le principal public visé. En tous cas on ne démentira pas l’illustration de couverture : « ce livre devrait être remboursé par la Sécurité Sociale ! ».

 

 

BG

 

« Vaincre les insomnies et l’anxiété, Darwin plutôt que Freud ? », Jean-Yves Pérol et Romain Allais, éditions Tournez la Page, 2012, 191 pages.

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1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 14:41

passerelle

 

Dans son numéro du mardi 29 mai 2012, sous le titre « Des miracles hors AMM ?», l'éditorialiste et patron du Quotidien du Médecin, journal connu pour son indépendance et ses prises de position courageuses, Gérard Kouchner (frère de l'ex-ministre de gauche puis droite) s'indigne de ce qu'il appelle « la pression de prescription » des patients et des médias grand public concernant le Baclofène, hors AMM, dans l'alcoolisme.

 

En 2012, à l'instar de ce qui s'est passé il y a vingt ans pour le VIH, les patients s'informent par eux-mêmes, parfois très en dehors des sentiers balisés de la recherche et du marketing pharmaceutique, et se demandent effectivement si ce produit peut les aider. Concernant l'alcoolisme, probable quatrième cause de mortalité en France, les médicaments spécifiques sont rares et peu satisfaisants, la question est donc d'importance. Rien de surprenant que la presse non sponsorisée (le médicament, ancien, ne rapporte pas tripette) s'en fasse le relais, au delà du secret des cabinets et de l'enthousiasme des forums.

M.Kouchner estime lui qu'on prend là un risque démesuré, et implore la fermeté des autorités. Il invoque, avec nostalgie dirait-on, le cas du Médiator®, lui qui avait renoncé à parler du livre d'Irène Frachon au motif – voir la vidéo de son audition au Sénat – que son journal « ne fait pas dans les chiens écrasés » (les endeuillés du Médiator® apprécieront...).

De mon côté je m'étonne qu'il mette en doute avec tant de véhémence la tolérance d'un produit commercialisé depuis 1974, et vante l'AMM comme seule référence. Il est donc à rappeler que l'AMM fournit un cadre scientifiquement valide au vu des règles du moment, mais pas toujours garant de sécurité (les médicaments retirés du marché y avaient préalablement été autorisés, par définition). Sa pertinence clinique laisse parfois dubitatif (cf. les indications foisonnantes des antidépresseurs sérotoninergiques ou des antipsychotiques dits « atypiques ») et répond aussi à des objectifs commerciaux, la procédure étant coûteuse pour le laboratoire. Enfin sur le plan réglementaire c'est un cadre informel, chaque praticien devant être en mesure d'argumenter une éventuelle prescription hors AMM, en cas de problème. Il faut aussi redire que bien des découvertes médicamenteuses ont été faites fortuitement et empiriquement, grâce à l'observation d'effets inattendus.

 

Il termine en se proposant un rôle de lanceur d'alerte. Pourquoi pas, cela égayera ce journal dont l'intérêt se limite parfois aux petites annonces pour des villas dans le Lubéron et autres publi-reportages sur les 4x4 BMW, miroir caricatural à l'extrême d'un monde médical qu'on croirait figé dans les années 1970 (*).


J'ai envie de répondre : « chiche ! ». Et de le renvoyer à la page 5 du même numéro où trône une demi-page de réclame pour le Valdoxan® (agomélatine), des laboratoires Servier. Il est écrit en toutes lettres dans le RCP, accessible à tout praticien via le Vidal, que ce produit est cancérogène chez deux espèces animales, certes à forte dose mais sur le temps bref de la vie d'un rongeur, ce qui n'est pas neutre quand on sait le nombre de prescription d'antidépresseurs inutilement prolongées parfois durant des décennies. Le produit a obtenu l'AMM dans un grand numéro d'équilibriste de la HAS qui juge pourtant « mineure » l'amélioration du service médical rendu (ASMR IV) et l'a propulsé sur le marché déjà bien embouteillé des antidépresseurs. AMM en 2009, mis sous surveillance renforcée par l'AFSSAPS en 2011 (beau score). Ayant bénéficié dans mon jeune temps de l'enseignement des Pr Alain Reinberg et Yvan Touitou (ce dernier étant membre de l'Académie de Médecine ; biochimiste à la Faculté Pitié-Salpêtrière et président de la Société Française de Chronobiologie), il n'y a pas à être surpris qu'un médicament interférant avec le système mélatoninergique puisse présenter quelque danger tant les circuits en sont complexes avec des implications un peu partout dans l'organisme, mais cela n'a pas l'air d'effrayer grand monde. Cela ne pose en tous cas aucun problème aux nombreux psychiatres universitaires soudainement passionnés de mélatonine qui soutiennent le produit à toute force dans les congrès, revues sponsorisées dont déborde ma boîte aux lettres, EPU, etc. (**)

 

Bon alors Gérard, on la lance l'alerte ?

 

BG

 

(*) à l'exception des amusants billets de Richard Liscia défendant dans la crainte de l'arrivée des chars soviétiques les plus stupéfiantes acrobaties du quinquennat qui vient de s'achever.

 

(**) Tiens j'y pense, ça fait longtemps que je n'ai lu ni dans le Quotidien ni ailleurs un article ou compte-rendu de congrès de psychiatrie qui mette en doute les qualités d'un psychotrope : on a bien de la chance de vivre dans un monde aussi parfait !


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1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 14:31

 

 

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Etonnement toujours renouvelé des Temps Modernes ! c'est grâce au web, et à l'interface mystérieuse qui parvient à relier le fond d'un grenier encombré d'Annecy au reste de l'humanité (via le site de petites annonces leboncoin.fr) qu'Yves Dauteuille s'est fait connaître, donnant une vie digne d'Alice au Pays des Merveilles au moindre porte-manteau, un génie à la moindre lampe de poche et un prix Goncourt à la première table à langer venue.

Et c'est bien là que réside le plaisir transgressif de son écriture : objets inanimés vous n'avez pas d'âme, on nous répète chaque jours que vous avez un prix, voici maintenant que vous avez un langage...

Tout cela valait la peine d'être gravé dans le papier, les écrans d'ordinateur étant décidément trop fragiles et dotés d'une mémoire encore plus éphémère que la télévision.

C'est chose faite, aux éditions Flammarion, ça ne coûte pas cher et vous pouvez vous le procurer en ligne (c'est bien), en librairie (c'est beaucoup mieux !!!)... ou attendre de le trouver d'occase sur leboncoin, mais ce serait dommage...

 

BG

 



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21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 22:24

 

Pas évident de trouver un truc à dire, mais il est des circonstances où il est finalement plus dangereux de se taire.

 

Notamment quand on voit les orbites vertigineusement incandescentes où circulent déjà les Rioufol et autres, gardiens hallucinés de valeurs folles, suitant de mauvaise foi, déviant perversement les évidences les plus structurantes (les "moralistes" seraient à l'origine de l'immoralité... je vous laisse méditer). Ces gens-là roulent leur public dans la farine, je dis au simple argument qu'il ne peuvent pas être aussi bêtes que leurs outrances semblent l'indiquer.

 

Je ne citerai pas le lien de l'édito du susdit commentateur, pour ne pas lui faire de la publicité, et aussi parce que je ne le retrouve pas, sa lecture m'ayant fait vomir subitement sur l'ordinateur.

 

Alors comme je n'ai rien à dire, je laisse parler Philippe Katerine :


 

 


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4 mars 2012 7 04 /03 /mars /2012 21:58

 

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C’est toujours facile à dire après, mais, si, je vous assure : j’avais l’intention d’ouvrir cette rubrique avec le concert d’Orelsan avant qu’il ne soit récompensé aux Victoires de la Musique 2012.

Un simple lien dans un mail d’un ami il y a quelques mois vers le clip de Plus rien ne m’étonne, et la curiosité était piquée... Quel est donc ce type capable de chanter qu’il n’est «plus assez naïf pour avoir une opinion» ? Capable de déclencher (à l’insu de son plein gré) une belle polémique avec des associations féministes, mais aussi de vous tirer une larme en évoquant le travail des enfants en Chine (La petite marchande de porte-clés). Deux albums écoutés en  boucle plus loin, je dois avouer avoir mis un genou à terre : je suis conquis, et il était urgent d’aller vérifier tout çà en concert.

Premier choc à l’entrée, j’ai vainement cherché ma Carte Vermeil, mais non, on n’est toujours pas en 2052, c’est juste le public qui est très, très jeune... Jeune et motivé, tout le monde connaît toutes les paroles, la connexion avec l’artiste est totale et immédiate... Lui ressemble effectivement à un type normal, spontané, un vrai. Il déroule généreusement un show tonique et bien construit avec un sens de la scène juste assez cabotin, enchaîne de façon équilibrée les titres très rap (Soirée ratée) et d’autres plus proches de la chanson classique (La Terre est ronde), où se télescopent bons mots potache («parti frais comme un gardon, je suis revenu fumé comme un saumon») et critique sociale à la fois sèche et imparable («fermez les bibliothèques on a des ps3 » !). Le talent d'Orelsan pour passer en un éclair d'un extrême à l'autre n'est pas la moindre de ses qualités... Les provocations parfois trash ne manquent pas, comprenne qui peut où passe la frontière de l’humour, ainsi que les codes propre à notre époque, et c’est très bien comme ça (quel artiste parvient à bousculer sans jamais flirter avec la limite ?). Le texte se révèle précis, fin, tranchant, ludique, toujours porté - et jamais étouffé - par une excellente rythmique et par ses très bons musiciens. La lucidité insoumise donne à réfléchir mais ne se fait pourtant jamais accusatrice (si ce n’est envers Justin Bieber, mais quelle importance ?) ni donneuse de leçons (si ce n’est envers lui-même comme dans Le chant des sirènes !), ce qui montre un recul inhabituel au rayon chanteur pour jeunes, et une maturité d’écriture inhabituelle tout court.

On lit deci-delà, qu’Orelsan parle des problèmes très spécifiques de l’adolescence : le sens de la vie dans une société dédiée à l’hédonisme consumériste, la séduction, l’amour, la sexualité, le rapport à l’ambition, la mort. Bon d’accord, alors je suis encore adolescent, j’assume s’il le faut, mais en tous cas il y a belle lurette qu’un concert ne m’avait donné autant de sourire et d’énergie - malgré la note douloureuse, attendue, du final sur  Suicide social.

 

BG

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 09:27


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Le psychiatre vit généralement en milieu urbain, à l’abri de cavités solitaires que l’on nomme «cabinet médical» s’il aime les belles autos et la liberté, ou dans des colonies grégaires appelées «hôpital» lorsqu’il aime l'odeur d'éther et la sécurité de l’emploi. Peu résistant au grand froid, il apprécie la lumière, mais supportera les clairs-obscurs et même une exposition ombrageuse peut convenir. D’un naturel robuste, il nécessite tout de même un peu d’entretien.

Si l’on observe le psychiatre attentivement, on remarquera qu’il ne possède pour ainsi dire pas de corps, mais par contre deux énormes oreilles, et un stylo. Entre les oreilles se situe le cerveau, dont on ne sait rien. L’entretien du stylo est anecdotique, il suffit de le remplacer lorsqu’il est vide.

A l’inverse, l’entretien des oreilles doit être absolument rigoureux. En effet, il faut bien entendre qu’elles sont pilonnées au fil des années par des drames injustes et des souffrances absolues, triturées par des transgressions indigestes, englouties par des deuils orphiques et des passions pyrogravées, distordues quelquefois par des délires spectaculaires, et en tous cas perpétuellement cinglées par le grésil à granulométrie variable des symptômes - sans oublier les stalagtites de secrets de famille millénaires aux calcifications contondantes, qui se forment parfois sur les bords de l'hélix. Bref, elles peuvent finir par donner des signes de fatigue, au risque de réduire le rythme et la richesse des floraisons. Ce qui serait dommage, tout de même.

Vous l’aurez compris, la récolte bi-hedomadaire du cérumen n’y suffit pas, aussi élégante que soit la rotation spiroïde qu’imprime le poignet au coton-tige. Il est capital, pour maintenir le psychiatre en bon état de fonctionnement, de régénérer aussi souvent que possible les tréfonds du fin-fond de ses oreilles, là où accostent les naufragés, là où sédimente la poussière d’âme et les éclats de vernis névrotique. Alors il faut du vent ! Du mouvement ! Du sensible bien sûr, de l’époussettement d’archéologue aussi pointilleux que l'archet sur le violoncelle, mais aussi du gros, du lourd, du puissant : ne laboure-t-on pas la terre chaque hiver en profondeur pour lui permettre de produire à nouveau ? Ne faut-il pas secouer les tympans comme on bat les tapis, le printemps revenu ?

Le but de cette rubrique (*) sera donc de vous présenter quelques compte-rendus de mon programme d’entretien auditif que l'on peut qualifier de semi-aléatoire. Si ça se trouve, c’est aussi le prétexte à quelques expériences sonores - et au plaisir de vous les raconter.

 

BG

 

(*) Il appartiendra aux historiens de l’Internet de dire si elle se révèle aussi peu stable et prévisible que mes précédentes tentatives de lancer une rubrique régulière.

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26 février 2012 7 26 /02 /février /2012 21:36

 

En Amérique, c’est bien connu, tout est plus grand. Alors, quand la France médicale se réveille toute nue, et encore saoule, dans les bras d’un Jacques Servier aux yeux brillants qui lui susurre à l’oreille que la sécurité humaine c’est bien, mais que le business c’est mieux, en Amérique, les labos voguent déjà vers des horizons plus lointains.


Faire faire des essais thérapeutiques dans des pays pauvres, créer de vraies-fausses maladies (mais de vraies prescriptions) en bidouillant les critères diagnostiques, cacher des risques connus en spéculant sur le coût des procès à venir, saigner les assurances maladies en vendant à prix d’or de fausses nouveautés (ah ? bah, si ça crée des emplois...), corrompre des universitaires, acheter (ou créer de toutes pièces) des associations de patients, si ce n’est des députés, et quelquefois des ministres, ils savent faire, et même plutôt pas mal, mais ils avaient besoin de quelque chose de plus beau, de plus noble, de plus grand. 
Au rayon intergalactique il n’y avait rien. Alors il se sont rabattus modestement sur le planétaire.

A en croire le récit du journal Le Monde daté du 18 février dernier, un pense-char, pardon un think tank nommé Heartland Institute (le pays du coeur... ça ne s’invente pas), est une des principales organisations de lobbying climatosceptique. Ils agissent via des tribunes de presse, des blogs, des conférences (parfois jusque dans des lieux prestigieux tel l’Institut de Physique du Globe à Paris), afin d’influencer la perception du risque climatique par la population. Cela dès l’enseignement scolaire, mais aussi au travers de publications tendancieuses d’allure scientifique et de rapports remis aux politiques. Le but : contrer, adoucir, occulter, aplanir toute information jugée «alarmiste» (qu’elle soit pertinente, réelle, scientifiquement consensuelle importe peu, on l’aura compris), avec pour objectif  manifeste le maintien en l’état de tout ce qui se pratique aujourd’hui, dans tous les domaines et en particulier dans les industries qui ont un bénéfice direct (à court terme...) à ne rien changer.

Tout cela coûte évidemment énormément d’argent, le budget du machin se monte à 7,7 millions de dollars pour 2012. Dans la liste des généreux donateurs, jusqu’ici tenue confidentielle et révélée grâce à des fuites, on retrouve sans surprise un conglomérat pétro-chimique (mais pas de pétroliers), General Motors, des cigarettiers... Bref de grands bienfaiteurs de l’humanité.

Mais on relève aussi, jusque là cloîtrés dans l’ombre par une pudeur qui force le respect - un tel souci de la discrétion en devient émouvant - les noms des firmes pharmaceutiques telles que Eli Lilly (Prozac®, Zyprexa®, Cymbalta®...), Pfizer (Zoloft®, Effexor®, Champix®...), ou encore, mais la liste n’est pas exhaustive, GlaxoSmithKline (Deroxat®...).

Amis, citoyens, patients, qui prenez des médicaments produits par ces entreprises, médecins qui les prescrivez, soyez heureux : grâce à vos achats vous contribuez à la désinformation active sur le changement climatique, ses causes et les moyens d’y faire face.


BG

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16 février 2012 4 16 /02 /février /2012 14:53

 

C'est terrible, il m'a fallu atteindre la quarantaine pour tomber sur ce texte, édifiant, vivifiant certes, mais aussi vertigineux si on le met en parallèle avec les milliers d'heures suées dès après le bac, à s'encombrer la tête de concepts oiseux et futiles (en plus d'être résolument inopérants) tels que la psychométrie, les évaluations multiaxiales de la personnalité et autres billevesées dignes des médecins de Molière - mais qui font si joli dans les congrès de psychiatrie (énoncer doctement que "la sérotonine est impliquée dans la dépression" m'a toujours paru aussi sot, aussi vain, que de dire "l'opium fait dormir parce qu'il a des vertus dormitives"). Qui font joli, et qui évitent surtout de se confronter à nos lacunes, nos impuissances, nos ratages (sans compter que ça fait rend tellement service aux laboratoires pharmaceutiques, et puis ça rendort les tutelles qui ont, comme ça, l'impression qu'on travaille...).

 

Je suis tombé sur ces quelques lignes rassurantes - je me sens moins seul, enfin - en tentant, justement, de grapiller quelques miettes de savoir ancien face au constat toujours renouvelé de mes lacunes théoriques (qui prétend n'en avoir aucune me lance le premier Qanûn d'Avicenne en travers de la figure...). C'est du Jung. Oh ce n'est pas bien long, mais par prudence éloignez quand même de vos écrans les jeunes étudiants en médecine et les professeurs de psychiatrie.

 

"Celui qui veut connaître l'âme humaine n'apprendra à peu près rien de la psychologie expérimentale. Il faut lui conseiller d'accrocher au clou la science exacte, de se dépouiller de son habit de savant, de dire adieu à son bureau d'étude et de marcher à travers le monde avec un coeur humain, dans la terreur des prisons, des asiles d'aliénés, des hôpitaux, de voir les bouges des faubourgs, les bordels, les tripots, les salons de la société élégante, la Bourse, les meetings socialistes, les églises, le revival et les extases des sectes, d'éprouver sur son propre corps amour et haine, les passions sous toutes les formes ; alors il reviendra chargé d'un savoir plus riche que celui que lui auraient donné des manuels épais d'un pied et il pourra être, pour les malades, un médecin, un véritable connaisseur de l'âme humaine".

 

Carl Gustav Jung

(in : L'âme et la vie, recueil de textes édité en 1963)

 

 

BG

 


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9 décembre 2011 5 09 /12 /décembre /2011 22:30

 

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Il a fallu bien des hasards pour que je repasse devant ces solitudes cimentées, vingt ans après, par ce venteux matin d'hiver.

 

Entre les bullzoders les ronces attaquent enfin le colosse abandonné et déchiquètent jusqu'à son parking – même les corneilles n'y croassent plus guère. Mais les couloirs résonnent encore des vociférations terrifiantes de chirurgiens sanguinaires au regard étincelant de folie, amputant à l'aube les jambes glacées des artéritiques sous le regard perdu de leurs élèves maigrissant, humiliés jour après jour et pour certains jusqu'au cancer.

 

Sabourin, le grand hôpital des phtisiques, autrefois signalé comme un paquebot moderniste accosté à la colline de Chanturgue, a fermé, s'est échoué donc, ne laissant pour squelette que ses vitres brisées, ses carrelages lugubres et ses chambres désertes.

 

J'étais alors simple témoin, ce qui se nomme « externe » en langue médicale. C'est là qu'à peine sorti des limbes, blouse trop grande et stéthoscope à l'envers, je rencontrai maladroitement mes premières figures du Malade. Au regard déjà creux et aux angoisses vaines de ces pantins docilement offerts aux cruautés prétendument thérapeutiques, je ne proposais que mon oreille naïve, et un paquetage léger de certitudes transparentes. Ils se cachaient une dernière fois derrière quelques stéréotypes pédagogiques, subissant leur ultime présence au monde dans cette atmosphère dantesque et malodorante. Sans m'en rendre bien compte j'étais peut-être le seul à connaître leur nom, à savoir leur métier, leurs enfants, leurs peurs, à interroger leur histoire. Souvent le lendemain ils étaient repartis là où nous irons tous – je le découvrirai plus tard, c'est la nuit qu'on vient les chercher.

 

Les grands tyrans caractériels, pilotes arrogants du vaisseau de béton dérisoire, les rejoindront un jour, suivis plus tard par leurs panseuses masochistes et sans doute aussi par des nuées de fantômes revanchards.

 

BG

 

 

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2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 22:44

 

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Le dernier livre d'Alexandre Jardin, « Des gens très bien », sort des normes. En tous cas des siennes. L'auteur, qui s'est fait connaître par la légèreté et l'optimisme de romans à la limite de l'eau de rose, nous invite ici à plonger, avec un courage lumineux, derrière la façade qui abrite sa famille depuis deux générations d'un secret lourd.

 

A l'instar de ces découvertes faites au hasard d'une psychothérapie, le secret est ici gros comme une montagne. Il n'est invisible que tant que nous gardons les yeux fermés. Le grand-père de l'auteur, Jean, s'est rendu coupable de participation au plus niveau aux activités, et donc aux crimes, commis par l'Etat Français, ce curieux régime que l'on appelle « de Vichy ». Il exerçait la fonction de directeur de cabinet de Pierre Laval, notamment en juillet 1942. Pourtant la question gênante, obsédante, énorme, évidente, n'est jamais abordée, par personne, dans la famille. Alexandre nous la ramène comme un leitmotiv : où était-il, qu'a-t-il fait, qu'a-t-il pensé, le jour où furent données les directives, signés les ordres mettant en route la rafle du Vel d'Hiv ? Que s'est-il passé à l'intérieur de cet homme si proche, lorsque la machine dont il était un des plus solides rouages a offert en sinistre cadeau à l'occupant, près de 13000 personnes dont 4000 enfants délogés au petit matin par la police française, dont reviendront vivants quelques dizaines seulement ?

 

Le rôle joué par le grand-père après-guerre n'est pas plus engageant : au-delà des frontières de toutes les illégalités, il se survivra longuement, sans une once de regret apparent, en tant qu'intermédiaire occulte du financement de quasiment tous les partis politiques... nourrissant ainsi le cancer qui mine la démocratie. J'ai coutume de dire que l'éthique ne connaît qu'une frontière : une fois franchie la première ligne rouge de l'amoralité, il est illusoire d'espérer le respect d'autres limites. Cela est sans doute particulièrement valable pour les voleurs et les assassins, qui plus est intelligents, qui plus est en col blanc. Conscients de leurs actes. On ne parle pas ici d'impulsion, de survie, de carence d'éducation... Le remord sincère existe, oui, mais il est rare, et bien peu en acceptent le tarif - moralement et socialement - exigeant.

 

Alors après avoir tenté de soulever le voile d'ombre sur lequel s'assoit de tout son poids la majorité de sa famille, Alexandre oscille. Continuer de porter une culpabilité insoluble, d'une faute qui n'est pas la sienne ? Ou casser le miroir, se libérer, au risque d'être jugé par les siens pour ce qu'il porte désormais comme une trahison (le terme revient souvent) faite à son clan ? C'est cette deuxième option qui est choisie, et assumée, qui lui permet de nous livrer cet opus aussi clair que douloureux, précis et indispensable comme le bistouri du chirurgien l'est à l'abcès négligé.

 

Sans doute certains lui objecteront (j'avais écrit « abjecteront ») qu'il ne faut pas remuer la vase – ou la merde, c'est selon – qu'il faut laisser le temps brouiller les mémoires et effacer les traces, que la paix du compromis vaut tous les sacrifices. Que ceux-là prennent conscience de leur mortel égoïsme ! Seul le porteur de ces sentiments sait quel est le prix de cette paix factice. Cette prison terrible qui cloisonne l'âme, condamne l'esprit à toutes sortes d'inefficacités, d'incompétences, d'échecs. Voire à la mort, comme peut-être, on ne peut s'empêcher d'y penser, son père Pascal Jardin, qui n'a survécu que quatre ans à son propre père, lui qui avait passé sa vie à enjoliver à tout crin la mémoire de l'ancêtre. Alors qui osera exiger la patience et le silence ? Qui posera comme condition à la liberté, d'attendre que les barreaux soient mangés par la rouille ?

 

Et puis, dans la succession des mouvements contradictoires qui ont marqué le regard de l'opinion au sujet de la collaboration française au nazisme, on a peut-être, à force d'analyses, de contextualisation, de compréhension, de relativisation, fini par oublier que le salaud existe. Et que si l'on tient à l'exonérer de sa responsabilité, il faut vouloir que d'autres, et qui sont innocents, et sans en avoir forcément directement conscience, en portent le poids.

 

Le prix de l'émancipation semble toujours exorbitant, mais l'émancipation est belle. On peut désormais donner du « Monsieur Jardin » à Alexandre, en espérant qu'il en soit fier. Et que ses proches aujourd'hui outrés, viennent un jour le remercier.

 

BG

 

« Des gens très bien », Alexandre Jardin, Seuil 2011

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