Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 11:52

 

maison parents

 

Ce livre n'est pas d'aujourd'hui mais l'ami Fred me l'a mis entre les mains récemment. Assez court, l'ouvrage touche au cœur. Tous ceux qui ont eu à affronter ce genre de moments en savent le goût amer, lorsque les larmes tombent sur les sacs de vêtements que l'on descend une dernière fois des armoires. Cambrioleur obligé éternuant dans l'intimité désormais légitime, fouillant derrière le décor, parmi les décombres poussiéreux de ceux qui furent à la fois les plus proches et les plus inaccessibles des êtres : les parents. Ceux qui ne savent pas, sauront un jour. Ceux qui ne sauront jamais, enfants de migrants parfois, de déportés, d'incendiés... seront exemptés de ces tâches infinies, mais l'auteure souligne combien leur fardeau n'est pas moins douloureux. Les objets sont autant de symboles qui nous aident à garder l'équilibre au-dessus des précipices. Leur accumulation, leur tri, leur départ nous aident à mesurer les lentes progressions libératrices du deuil.

 

L'auteure, psychanalyste, nous confie ici ses émotions et ses pensées quasi brutes, sans jargon, sans tentative d'explication ou si peu. Ce minimum finalement suffit à nous entraîner dans nos propres confrontations intérieures, dans nos glissements méditatifs. Ce n'est pas un ouvrage technique sur la psychologie du deuil, peut-être juste un moteur auxiliaire dont on s'aidera pour réfléchir ou, si l'on est concerné, pour avancer quand on n'y arrive plus vraiment.

 

En filigrane elle nous rappelle ainsi que le deuil est une affaire d'émotions, et de temps. Ces mots aident parfois à fermer les cartons, mais ils sont à bien des moments impuissants. Et contrairement aux directions où notre société nous pousse – jusqu'à certains confrères – il n'y a pas de deuil rapide, ni rigolo. Cela se termine-t-il vraiment un jour, nous interroge ainsi Lydia Flem ? Ouvrage précieux, à lire avant, pendant ou après ces traversées inévitables : on est moins seul.

 

BG

 

« Comment j'ai vidé la maison de mes parents » (Lydia Flem, Seuil, 2004)

Partager cet article
Repost0
23 octobre 2011 7 23 /10 /octobre /2011 19:54

 

Dimanche calme, retour de … vers …, beau temps, route sèche, autoroute fréquentée mais sans plus, les lumières de l'automne soulignent les villages à flanc de colline qui n'en finissent plus de bucoler, des tas d'herbes coupées finissent de fumer dans les champs. A la fois pour tromper la monotonie et histoire de ne pas paraître trop perdu face à mes patients les plus technophiles, je me démène, sans – sans trop - perdre la route de vue, avec une pieuvre de câbles reliant tout un tas de boîtiers en plastique de mauvaise qualité, censés préserver les points de mon permis de conduire, me rassurer sur le fait que je ne suis pas sorti de l'autoroute involontairement, et enfin distraire mes oreilles en zappant de Moby à Corelli sans avoir à ouvrir des boîtiers cassants et malcommodes. Mais sans non plus pouvoir régler l'égaliseur correctement. Si l'ordinateur de bord (Hal ? Tu m'entends ?) a bien compris sa dernière mise à jour, et qu'il dit vrai, je devrais pouvoir arriver à la maison de justesse, mais sans devoir ravitailler en pétrole au prix luxueux imposés sur ce marché roulant mais captif. Bref, tout va bien.

 

Une voiture en panne sur le bas côté. Ah, non, deux. Tiens, sur l'asphalte des morceaux de verre, et des bouts de truc, et un pare-choc, eh merde ils ne sont pas en panne, ça a tapé. Une dame en jaune fluo. Je freine, fort, un type gesticule dans ma direction, ce serait le moment de s'arrêter. Là. Maintenant. D'abord parce que c'est la vie, c'est la loi, la République, tout ça : c'est impératif. Ensuite parce que, cerise sur le gâteau moisi des études de médecine, il m'est un devoir incontournable d'aller, en cas de besoin et séance tenante, repêcher le noyé du fleuve, sortir le bébé de la maison en flammes, réanimer le passager du train, imposer un déroutement au Boeing des vacances. Je sors prestement ce gilet fluo qui me va aussi mal que m'allait la blouse blanche... Rapide tour d'horizon, une AX pétée, la conductrice saigne au mollet mais rien de méchant. Elle est consciente, fripée, ridée, mais pas blette, et pas du genre à se frapper la poitrine en plaignant sa vieillesse assumée. Infirmière retraitée, ça me touche. Bon, elle a rétrogradée un peu trop (et sans raison...), bloqué son moteur en plein dans cette longue descente autoroutière, l'autre derrière n'a pas eu le temps de comprendre. Le percuteur, sexagénaire du genre qui ne sait plus où il a mis son gilet jaune, lui, est sous le choc, mais rien de plus. Sa passagère a pris l'airbag – cet ennemi mortel, si l'on peut dire, des transplantations d'organe - en plein thorax, mais rien d'inquiétant.

 

Ce doit être la quatrième ou cinquième fois que ça m'arrive. A chaque fois le même constat d'impuissance, quand on possède un savoir technique mais pas les moyens de le mettre en œuvre. La première fois, les pompiers sont arrivés au bout de 20 minutes, avec dans leur camion... rien. Si, des couvertures, et des bonnes intentions. J'avais été héroïque – déjà - en prenant la décision de bouger la victime contre l'avis des secouristes présents. Si. Il le faut. Oui je sais que. Mais là. Je le prends sur moi. Merde, je vous dis que ! Sans mon intervention courageuse la dame, survivante d'une éjection à cent cinquante à l'heure, se serait noyée. Dans une flaque d'eau. Parce que, comprenez, il ne FAUT PAS déplacer un blessé. Bref, ça c'était la première fois. Brutalement propulsé au cœur d'une tragédie qui n'était pas la mienne, une fois passée la demi-heure d'attente réglementaire, une fois que quatorze véhicules gyropharesques embolisent l'autoroute, une fois la survivante branchée, tuyautée, coquillée ? Ben, rien. Même pas pour la forme, un papier à remplir, je ne sais pas ? Non rien, je ressors à chaque fois de la tragédie qui ne concerne plus pour continuer ma route comme de rien, au propre comme au figuré.

 

Pour ce dimanche, le pire n'est pas là. Le pire est en toi, mon frère, ma sœur, mon semblable : bande de connards ! Car pendant vingt bonnes minutes, le temps que le premier véhicule de secours viennent signaler le pépin en gyropharisant l'amont du flot, une fois considéré qu'il n'y avait personne à qui dispenser des soins d'extrême urgence et afin de prévenir le sur-accident, comme on me l'a appris, j'ai agité à bout de bras un gilet orange fluo, debout sur la rambarde pour être plus visible. Il fait jour, il ne pleut pas, la visibilité est parfaite, la route est sèche, il y a 3 bagnoles arrêtées sur la bande d'arrêt d'urgence, des débris un peu partout. Un type (je...) agite un tissu orange. Que font les humains ? Ils passent. A fond. Dans les débris, que leurs pneus projettent vers nous comme autant de shrapnells indisciplinés. A un mètre cinquante des épaves immobiles. A fond. La tête dans le guidon. Il y aurait déjà des ambulances, peut-être ils ralentiraient dans l'espoir secret et maladif de voir des ventres ouverts, des flaques de sang, des bouts d'os. Mais là, il n'y a pas d'ambulances : on ne sait pas encore si c'est grave, alors on ne s'arrête pas. On ne ralentit même pas, mettant en danger tout ce qui reste d'humanité au bord de cette route.

 

Pire encore que cette indifférence dangereuse – peu s'en est fallu qu'un plus abruti que les autres n'aille pilonner une des voitures arrêtées – il y a la solitude du héros. C'est moi. Voir qu'il y a un problème - potentiellement grave, s'arrêter, demander s'il y a besoin de quelque chose. Rien de plus. Une plume. Un battement de cil. Une pièce de un centime. Rien. Mille voitures sont passées. Mille conducteurs, parmi eux sans doute il y avait des médecins, des vendeuses, des Adventistes du Septième jour, des karatékas, des investisseurs, des policiers, des instituteurs, des DRH, des maçons, des chômeurs, des champions de tennis, des gens qui votent pour le NPA, des femmes de, des fils de, des frères de. Des gens. La norme, statistiquement, puisqu'ils représentent une majorité. Je n'en revenais pas : je suis le seul à m'être arrêté, dans des conditions où le bon sens, le minimum d'humanité et même la loi pénale l'exigent de chacun !

 

Je ne tire de cet héroïsme autoroutier aucune gloriole, s'en faut, mais au contraire une vertigineuse déception. En matière de désillusion je crois avoir déjà descendu bien bas l'escalier romantique en haut duquel nous placent notre culture et notre éducation, et je peux affirmer que je n'attends, vraiment, pas grand chose du cannibale génocidaire qui habite mon espèce. Mais là... tout de même ! Est-on arrivé si bas dans le degré de conscience minimale de l'autre ? Ne pas porter secours à des accidentés, ne pas même s'informer, et pire, ne pas même préserver un tant soit peut leur sécurité – en ralentissant - une fois que l'on fait l'arbitrage odieux que tout cela risque de nous faire rater le coup de fil de belle-maman et le début du film sur la Deux. On peut arguer que certains ont peur, de ne pas savoir, de ne pas savoir faire face. En l'occurrence, il fallait téléphoner aux secours. Même si l'on craint la vue du sang on sait faire. On peut arguer de la somnolence qu'induisent le rythme autoroutier et les mille assistances des bagnoles modernes qui isolent le conducteur de la réalité, le parasitage incessant de l'attention par les GPS, téléphones élégants et autres gadgets débiles. Mais cela diminue-t-il la responsabilité ? Tout a été déjà écrit sur le comportement à la fois assiégé et agressif qui distingue le conducteur automobile du piéton. Mais là... On ne vas pas excuser tous ces cons dont, chacun, a failli porter cet après-midi la responsabilité d'un vrai drame.

 

Je repars, plutôt soulagé d'être encore vivant, mais amer. Dix kilomètres plus loin, autre accident. Une fille qui a dû faire un faux mouvement a glissé ses deux roues droites dans la boue sur le bas-côté. Rien de cassé, même pas la voiture. Là, deux camions orange bardés de clignotants multicolores signalent l'accident 500 mètres plus tôt. Tout le monde freine, regarde, s'inquiète. Tout le monde est civique, attentif, prudent pour les autres. Les mêmes qui ont frôlé, à fond, les ambulances arrêtées, quelques minutes plus tôt.

 

Il n'est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Quelles que soient les évidences. Une voiture cassée, des gens en gilet fluo qui gesticulent... Je peux parfaitement réussir à ne pas voir. Un camion officiel qui affiche « accident ! » : je le crois instantanément. Vu à la télé. Si les autres le disent, si une autorité le clame, alors là j'adapte mon comportement. Comme dans les expériences de Stanley Milgram. Si mes yeux l'ont vu, si mon cœur l'a senti, si mon cerveau l'a compris... Et bien ? Et bien ça dépend. Trop souvent ça ne suffit pas. On ne se positionne pas en tant que sujet, on ne juge pas, on ne choisit pas, on ne décide pas. On ne freine pas... On n'agit pas en tant qu'homme. Le titre provocateur de l'article faisait allusion à l'une des pires abjections de l'histoire, ce n'est pas pour rien. Je vous laisse faire les liens vous-mêmes : vous êtes sujet, vous êtes humain, vous êtes debout, ou bien ?

 

 

BG

 

 

Partager cet article
Repost0
20 octobre 2011 4 20 /10 /octobre /2011 11:22

 

 

the artist04

 

Vous vous en doutez, l'entretien des oreilles du psychiatre demande un soin particulier, attentif et rigoureux, au même titre sans doute que les yeux du pilote et les doigts du pianiste. J'aurai l'occasion de revenir sur ce sujet à propos de musique. Une autre fois, car aujourd'hui c'est d'un film qui fait grand bruit (haha) que je voudrais vous entretenir : le premier film muet du XXIème siècle, The Artist, de Michel Hazanavicius. En tant que professionnel de l'écoute et de la parole, dialoguiste d'un quotidien qui s'espère thérapeutique, c'est donc avec une avide curiosité que j'ai ajusté mon smoking, enfoncé mon haut de forme puis tiré le starter et pressé le démarreur enroué de mon Auburn 8/115 Speedster pour descendre en ville assister à la représentation.

 

J'avoue avoir craint l'excès de nostalgie, ou pire l'égarement, le décalage, l'incongruité. La marche pourtant signalée sur laquelle on se casse la margoulette devant un péplum numérique bâclé (Troie...) ou un blockbuster stupide mêlant avec suffisance les genres et les époques (Le dernier des Templiers...). Rien de tout cela ici. La forme du film, très belle, soignée, élégante mais sans ostentation déplacée, nous fond instinctivement dans cette époque mouvementée des années 1920, la reprise des codes visuels (au premier rang desquels le noir et blanc, les typos...) et le soin des détails rendant l'immersion si évidente qu'on l'oublie sur l'instant. Je reconnais même la coiffure de ma grand-mère des Amériques, telle qu'on la voit sur les photos en plaque de verre, quand elle descendait du paquebot avec ses sœurs. On y est, on y palpite. A l'heure de la performance capture soutenue par un THX vibrant de tous les côtés, il y a là un sacré pied de nez à la surenchère techno qui, la démonstration en est faite, n'est nullement indispensable à la création d'émotions riches chez le spectateur. En 2011 comme en 1928. Spectateur dont on nous rappelle que c'est endimanché, et concentré, et collectivement, qu'il se rendait à un spectacle de cinéma alors porté par un orchestre symphonique. Pas de 3D à l'époque, mais pas non plus de films regardés du coin de l'œil sur un écran de téléphone entre deux stations de métro, ni de home-cinema lugubre et solitaire (onaniste ?) dans la cave d'un pavillon... La forme du film nous prend à rebours des codes de notre société, à rebours de ces gens qui acceptent cinq invitations le samedi soir pour sélectionner au dernier moment la plus «fun » et prévenir les déchus par SMS. Si l'on veut voir The Artist il est nécessaire de participer à l'événement. Nulle austérité, au contraire même un bel enthousiasme, mais il nous faut faire un pas, nous aussi. Condition nécessaire, trop souvent oubliée, pour que la belle rencontre puisse avoir lieu. Agir. Etre acteur de. Mettre en œuvre notre... intelligence. Intelligere, inter ligere, lire entre. Alors on lit. On savoure les innombrables clins d'œil, tel ce geôlier qui crie « Parle ! » et l'autre qui répond « Jamais ! Je ne parlerai jamais ! » dans sa cellule numéro 6, la mise en abîme du cinéma filmant le cinéma, avec cet écriteau « Please be silent ! » en arrière-plan du héros... Il faut y être, il faut suivre, attentivement, car il y a d'autant plus à voir qu'il n'y a rien à entendre. Et même, vous me croirez si vous voulez, personne ne le dit, mais il y a aussi dans ce film sans paroles nombre d'odeurs : le cuir, l'acajou vernis, l'essence mal brûlée par ces moteurs antiques, le cigare du producteur et le bourbon pas cher du saloon, la gomina, la naphtaline, la poussière des studios, tout y est !

 

On lit le silence disais-je. Et alors ? Les dialogues sont parfaits. Sauf que, détail, on ne les entend pas. Le procédé convoque non pas notre intelligence cognitive, la verbale, l'élitiste, celle qui travaille quand on voudrait dormir, celle qui s'acharne à étaler des mots hors de leur territoire, là où il ne servent à rien, mais l'autre, plus intuitive, plus profonde et plus évidente aussi – pour peu qu'on la libère – celle qui permet l'alignement des actes avec les émotions. Alors dans notre monde où l'on parle tout le temps, où l'on fuit avec rage le silence, où l'on se rend compte que l'on a allumé la télé ou la radio en rentrant du boulot sans même l'avoir voulu, où l'on envoie des tweets plus facilement que des sourires, où l'on drague avec des phrases creuses sur des écrans plats plutôt qu'avec des parfums épais dans les lieux rugueux, on redécouvre ici, enfin, que la communication non verbale fait presque tout, qu'il faut refaire une place au corps, et que c'est urgent. Et dire que nous portons notre langage comme une fierté absolue qui nous isole superbement du règne animal. Foutaise. Le rôle important accordé au chien, le seul dont l'absence de parole soit légitime, n'y est pas pour rien. Et puis portées avec charme par Bérénice Béjo et Jean Dujardin, les plus infimes nuances d'émotion, d'agacement, de dépit, de condescendance, les plus subtiles frustrations, les sentiments les plus tortueux, se déroulent devant nous avec une évidence lumineuse... et sans un mot.

 

On est loin, très loin de ces tristes caricatures qui s'obstinent à faire encore du muet... en psychiatrie, je veux parler de certains thérapeutes qui revendiquent d'être payés pour assister en spectateurs passifs et silencieux à la souffrance de leurs patients. Quand je me suis installé, la première question que m'ont posée mes correspondants a été : « et vous, êtes-vous un psy... qui parle ? ». On est stupéfait, parfois, par le paysage que l'on découvre...

 

Revenons au film. Le synopsis est connu, la descente aux enfers d'une star du muet, thème souvent évoqué mais rarement mis en scène, croisant l'ascension irrésistible d'une jeunette ambitieuse portée par la vague du cinéma parlant. Magnifique scène de l'escalier, en passant. Si je m'emballais je penserais à Fritz Lang, tiens. Alors, The Artist, image désuète d'un moment historique dépassé ? Spécialité hollywoodienne inexportable ? Sans doute pas, à notre époque où chaque nouveauté technologique relègue une palanquée d'humains au rayon des invendables. Car il n'y pas que les stars qui chutent. Et puis n'y a-t-il pas une métaphore affûtée de la middle-life-crisis, dans ce héros au demeurant antipathique, suicidaire dans son arrogance, qui dans une ultime tentative de relancer sa carrière se met en scène en train de sombrer, droit dans ses certitudes ? Dans ce quadra ambitieux aveugle à l'affection des siens qui ne salue plus guère que son propre portrait, et le terne reflet que lui tendent les biens matériels accumulés sans goût et sans chaleur ? Qui continue de prendre des décisions en fonction d'informations périmées, de stratégies anciennes, de succès oubliés de tous ? Le monde change, je ne vois pas pourquoi je m'y adapterais nous crie-t-il... inaudible ! Qui osera dire qu'il n'a jamais, en aucune façon, à aucun moment de sa vie, agi de la sorte...

 

En contrepoint, incarnation à la fois discrète et tout en lumière, assumant son talent et accueillant sa chance, le personnage féminin sera pour lui la rédemptrice désintéressée, la grâce de l'amour comme dernière chance de sauver, peut-être, l'homme de la perte à laquelle il fonce plus encore qu'il ne se résigne. Pétillante, enthousiaste, franche sans être naïve – elle garde bien du mystère - elle sera la dernière à voir le beau en lui malgré la déchéance consumée, la seule à avoir compris le piège auto-verrouillé de la vanité, à tenter de le libérer avec persévérance et contre sa volonté même. Canevas classique du mélo, certes, et c'est assumé, mais il y a une grande finesse dans la couture des dentelles, tout touche et touche juste. Les mots, on les pensera à part soi, plus tard, car ce film muet donne à penser, longtemps.

 

Le rideau de velours rouge se referme : après un ultime rebondissement la chute nous ébroue une dernière fois, le silence revenu – c'est muet mais il y avait de la musique, tout de même, et de l'excellente – la salle, spontanément, encore toute émue, se sent le besoin immense et généreux de faire du bruit : face à l'écran de nylon, tournant le dos au projecteur numérisé, ensemble, on applaudit.

 

the-artist-2011-21224-447257081

 

 

Bertrand GILOT

 

(© photos : le site du film)

Partager cet article
Repost0
10 juin 2011 5 10 /06 /juin /2011 15:51

 

 

Présenter ici une critique d'art est sans doute un peu déplacé mais tant pis, j'ose. L'oeuvre présentée au Grand Palais pour encore quelques jours attirait beaucoup ma curiosité. J'étais impatient de découvrir ce travail, tout ouvert aux impressions dégagées par la monumentalité des dimensions et des formes, et puis par le fait, rare, de pouvoir passer à l'intérieur et à l'extérieur d'un volume aussi étrange.

 

La déception est donc à la hauteur : monumentale. Le premier contact, par l'intérieur de l'installation et après un sas bâclé, est certes initialement troublant. Il est rapidement difficile de ne pas penser à l'aspect utérin de la chose (rouge, translucide, tiède, bercé par le bruit rauque et régulier de la soufflerie...), mais l'émerveillement s'estompe bien vite, sans que l'on puisse identifier précisément ce qui le désamorce. La foule, les flashs ? Même pas... Cette poésie archaïque et fragile a achevé de se rompre lorsque, quelques jours plus tard, quelqu'un m'a avoué avoir ressenti quelque chose de plutôt intestinal... Autres images, autres conséquences ! Quoi qu'il en soit cette évocation organique n'est pas clairement revendiquée par l'artiste, qui dédie l'installation au monstre diabolique qu'est le Léviathan.

 

leviathan in

 

Mais dans tout ce vide, il manque quelque chose ! Soit le vide n'est pas assez vide, soit la morphologie est encore trop complexe, peut-être, par rapport aux intentions ? Après tout, on est saisi aussi - et pour ainsi dire redimensionné, quand on entre dans un chapiteau de cirque, ou même un stade... mais alors, pour le même prix, on a un spectacle au moins !

 

Quant à l'extérieur, on le découvre là encore de façon brute et sans aucune mise en scène, en repassant par le même sas sombre et banal. Et malgré l'effort des machines pour remplir le ballon aux limites des possibilités offertes par la nef du bâtiment, on en a vite fait le tour, au premier sens du terme. On s'attend à un choc, une déstabilisation, un écrasement : on contourne un gros machin mou posé sur le ciment, et puis... et puis rien, on ressort, ni heureux ni ému. C'était donc ça ? Bon, on rentre ?

 

leviathan out

 

On rentre en se rappelant la gène persistante éprouvée lors de la première rencontre avec les Suchères, cette gigantesque colonne brisée au pied de l'autoroute Clermont – Saint-Etienne, au pouvoir évocateur infiniment troublant malgré un égal parti pris de simplicité (gigantisme, monochromie...), qui vient bousculer notre rapport au temps. Le souvenir revient aussi des corps disproportionnés de Ron Mueck dont seule la taille dément l'hyperréalisme, et qui reviendront longtemps interroger nos perceptions de l'espace, de nous, de la mort, des autres. Plus loin, la statuaire classique des colosses antiques de l'Egypte (l'entrée d'Abou Simbel...) à la Grèce nous rappelle sans ménagement, mais avec une implication spirituelle, notre microscopique humanité. Et enfin, à ces échelles-là, nous avons tous en tête également divers sites géologiques chargés d'une tout autre force émotionnelle que la baudruche du Grand Palais.

 

Bref je ressors frustré : j'en attendais trop. L'idée de l'artiste était riche mais la réalisation me semble avoir loupé sa cible, qui n'était sans doute pas l'indifférence du visiteur. Une impression fugace, du vent dans les rideaux de la tête, mais rien de plus, nulle gène, nulle interrogation... nulle trace. Tout le monde n'a pas les moyens de sa démesure, ce qui n'est pas très grave au fond. Question sans réponse pour physiciens en déshérence : ce vide qui se veut si grand est-il finalement un petit vide ? Pourquoi ces boules si gonflées se révèlent-elles si plates ? Le Léviathan aura donc été apprivoisé (était-ce ça, la leçon ?), à moins que comme on dit ce diable, pour monumental qu'il soit, se soit une fois de plus niché dans les détails qui l'empêchent de nous faire impression ?

 

 

BG

Partager cet article
Repost0
9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 10:59

La consternation est massive après le report d'une épreuve des ECN 2011 – l'appellation nouvelle du concours de l'Internat. Même si l'information est tombée en plein week-end de l'Ascension, tout a déjà été dit je crois, sur la manière dont les organisateurs ont été infoutus d'effectuer des tâches aussi sophistiquées que : établir des sujets d'examen lisibles, sans ambigüité ni faute de frappe, les imprimer en nombre suffisant, les distribuer simultanément ainsi que les copies et feuilles de brouillons dans sept centres d'examen, enfin débuter les épreuves à la même heure. Infoutus de se rendre compte qu'il y avait un problème, d'y réagir et d'en rendre compte de manière claire et consensuelle. Rappelons l'enjeu : un concours qui sanctionne le deuxième cycle des études de Médecine, donnant accès au choix d'une filière de spécialisation, et de la ville dans laquelle s'effectuera cette phase finale de la formation. C'est une plate-forme, un carrefour solennel et définitif, qui détermine à peu près intégralement le destin de l'étudiant, y compris sa vie personnelle puisque le critère géographique en fait partie. Selon le classement obtenu on deviendra chirurgien en Bretagne, médecin scolaire en Dordogne, professeur de cardiologie à Paris, ce n'est donc pas un choix de détail, un ajustement à la marge, mais le choix réel d'un métier et du mode de vie qui va avec... C'est une épreuve que l'on passe vers 24 ou 25 ans, après six ans d'études, que l'on prépare sur deux voire trois ans dans le stress (programme de révision monumental, incertitude sur l'issue), et qui organise donc la totalité de ces jeunes années. L'effort est accepté par tous, mais avec l'espoir de règles équitables et d'un minimum de compétence de la part des organisateurs. D'autant qu'aujourd'hui, il faut le rappeler, les étudiants en médecine viennent de tous les horizons de la société. L'image du fils à papa oisif et arrogant qui fanfaronne devant la fac avec son Audi neuve a la vie dure. Elle est fausse. Pour conséquence, le classement à l'ECN n'est pas un cadeau de plus pour enfant gâté immature, c'est un gain légitime, obtenu de haute lutte dans un système encore assez méritocratique – rappelons que les facultés de médecine sont publiques et les frais directs peu coûteux, c'est peut-être un des derniers petits bouts d'ascenseur social encore fonctionnel dans notre pays.

 

Le cafouillage observé cette année n'est pas unique. Quand j'ai passé l'Internat, les résultats publiés officiellement avaient été ensuite annulés, puis après trois semaines de bricolage où les organisateurs eux-mêmes lançaient des rumeurs contradictoires, re-publiés avec quelques menus changements (certains reçus se trouvaient recalés, d'autres mal classés faisaient des remontées spectaculaires, etc). Les contacts avec les autorités étaient consternants. Personne ne savait quoi, ni où, ni quand, ni comment. Fukushima. Brûlures d'estomac. Et ça s'est produit plusieurs années de suite, et très régulièrement il y a des bugs de ce genre. Ce n'est pas le cas pour le bac, pour les concours d'écoles de commerce, dans les autres filières universitaires... Pourquoi une telle désinvolture, un tel mépris ? C'est important, ce genre d'histoire, pour comprendre la mentalité de beaucoup de médecins, une fois qu'ils sont installés.

 

Il faut décrire le parcours de A à Z. On commence par entrer dans la voie le bac en poche par un cruel concours qui n'a de différent avec ceux des grandes écoles, que l'absence de préparation adéquate. Ce parcours qui fait rêver tant de jeunes – et surtout fantasmer tant de parents ! - commence entre les murs d'une fac délabrée où il n'y a pas de savon ni de papier dans les WC, parfois pas de chauffage dans les amphis l'hiver. Le premier écueil franchi, on enlève son masque de compétiteur agressif pour découvrir le monde merveilleux des stages hospitaliers où l'on est enfin accueilli. Comme une merde. Il faut mendier une blouse à la lingère (quand il ne faut pas l'acheter soi même, je l'a vécu en DCEM 1), piétiner pour avoir le minimum d'informations pratiques, implorer une carte permettant de manger au self (où bien qu'étant bénévole on payera le ticket plus cher que les agents salariés de l'hosto), s'excuser constamment d'être là, raser les murs, dire oui à tout, exécuter nombre de tâches non qualifiées et non formatrices (pallier le manque de secrétaires par exemple) pour qu'on finisse par vous proposer de ce mauvais café Robusta des hôpitaux, supporter la vaine acrimonie de certaines infirmières, et enfin implorer les aînés qui disent plus souvent « merde » que « bonjour » pour en essorer quelques gouttes d'un savoir transmis de mauvaise grâce. « Mauvaise grâce » tiens, ça pourrait être la devise de nos hôpitaux, s'appliquant universellement à ceux qui y mettent les pieds. Il n'est pas certain que l'externe soit mieux traité que les malades : c'est dire. Ce qui explique une proximité – même physique – entre les deux, l'externe est un des derniers membres du corps soignant et le tout dernier du corps médical, à toucher le corps du malade, à prendre le temps de parler avec lui, et les deux sont également malhabiles dans ce milieu blafard. Pour le prix de la gratuité, on a le droit, pardon l'obligation, d'aller partager les poux des clochards dans la nuit, quand les copains font la fête, quand les anciens camarades de lycée font du voilier à la Rochelle, espérant pouvoir somnoler une ou deux heures dans les odeurs de vomi et les pleurs déchirants qui traversent les services d'Urgences. Ca, c'est pour fêter nos 22 ans.

 

Alors s'allume une lueur d'espoir : la vie deviendra joyeuse si l'on affronte LE concours – le deuxième donc – ce fameux ECN. Si l'on accepte d'y sacrifier le temps et l'énergie nécessaire (au revoir ma jeunesse...), une fois le monstre terrassé, commencera l'internat où pour un salaire d'aide-soignante on subit la jalousie d'un monde où tout le monde est mieux payé que vous et travaille moins d'heures (y compris les médecins séniors). On y endosse des responsabilités quelquefois vertigineuses sous un encadrement hautement variable (on est subitement jugé très autonome quand arrivent le mois d'Août ou les abords de Noël), avec des nuits de garde solitaires où l'on découvre à 2 h du matin que le repas tant attendu est immangeable (les rats de l'hôpital n'en veulent pas : aussi incroyable que ce soit c'est très largement pire que ce qu'on donne aux malades !), puis que la chambre de garde n'a toujours pas été nettoyée (depuis quatre mois) et qu'il faut chercher à l'autre bout d'un couloir lugubre des sacs de draps faits d'un étrange tissu plastifié où l'on suera notre épuisement. Au bout de 4 ou 5 ans de ce régime, après maintes courbettes et formulaires, la thèse et le diplôme en poche, il faut encore passer sous les fourches caudines de l'assistanat – facultatif mais fréquemment choisi, le masochisme guérit lentement – où, privilège du « jeune sénior », l'on découvre à l'insu de son plein gré que tout ce qui porte une blouse voit en vous un dangereux concurrent à éliminer. L'orchestre du Titanic...

 

Bref on a fait le tour. Il ne reste plus qu'à "partir dans le privé", tournant le dos à ces mauvais parents qu'aura représenté le couple fac/hôpital... Le privé, où vous attendent diverses administrations qui partent du principe que, ayant étudié la médecine vous êtes automatiquement riche, snob et fainéant et qu'il convient donc de vous aborder d'emblée sur le ton adapté. Conseil de l'Ordre, Carmf, Drass, Urssaf, CPAM, assurances, fisc, ne cessent de vous demander des renseignements qu'ils ont déjà, des sommes que vous n'avez pas encore gagnées, des comptes sur une activité dont vous ignorez encore l'essentiel, ou bien vous reprocher de travailler comme on vous l'a appris. On ne peut même pas décider de s'en foutre, un médecin en faillite se voit interdit d'exercice au même titre qu'un charlatan. J'aurais dû être peintre en bâtiment. En clinique, vous ajoutez à la liste de prédateurs un fond de pension Australien affamé. Enfin, faut pas se plaindre, à l'approche de la quarantaine, mais pas avant, on commence à gagner sa vie (je veux dire : plus que l'indispensable) et même plutôt bien pour une minorité d'entre nous. Fort heureusement, pour éviter que l'on s'endorme sur les ronces, les gouvernements  nous rappellent régulièrement qu'à tout moment, la collectivité pourrait nous obliger à travailler dans des bleds où l'Etat ne va plus depuis longtemps. Et que vous ne pouvez prétendre à une rémunération comparable aux autres "cadres sup" du pays qu'à condition de travailler 80 heures par semaine. Et surtout, à condition de ne pas s'en plaindre directement : le médecin, à la différence du pilote de ligne, de l'ingénieur, de l'institutrice et de l'électricien, n'a pas le droit de parler ouvertement des questions d'argent relatives à son travail. Ne me demandez pas pourquoi, mais c'est comme ça, et les syndicats de médecins ne manquent pas d'entretenir cette étrangeté.

 

Je n'aborde même pas ici les problèmes intrinsèques au métier : voisinage quotidien de la mort et de la souffrance, choix techniques et humains difficiles, exigences éthiques et réglementaires, etc.

 

Certains d'entre nous ne se remettent jamais de ce traitement multicouche à l'efficacité éprouvée, et deviennent, c'est un fait, et cela ne les excuse pas, accaparés par des préoccupations exclusivement matérielles. Pour certains confrères, sortis de cette essoreuse couverts d'amertume, survivants courroucés d'un système maltraitant où l'humanité chaleureuse est l'exception mémorable, il ne sera plus question de parler de l'intérêt général ni de service rendu. Le moindre rappel aux fondements collectifs (économie de santé, permanence des soins...) est vécu comme une insulte, une suprême contrainte : on est écorché, à vif, n'approchez pas ! En témoignent sans doute les mauvais indicateurs de santé du corps médical (suicides, addictions, espérance de vie...), les départs en retraite de plus en plus précoces et vécus comme des soulagements... Je veux gagner du pognon, partir en vacances dans des beaux endroits et protéger les miens, voilà le viatique minimaliste et autocentré avec lequel la plupart des médecins sont propulsés dans la société.

 

Je suis convaincu de longue date que cette aigreur suffisante est un avatar discret du « burn-out », et qu'une meilleure « gestion » (au sens RH du terme) sur tout le parcours du futur médecin garantirait à la fois bien-être et efficacité durable et solidaire du praticien. Utopie, sans doute, et le tombereau fonce sur d'autres routes... La désorganisation honteuse du concours 2011 témoigne, comme d'autres faits que j'ai cité, du mépris dont est l'objet la figure du médecin dans notre société. Mépris ambivalent, on respecte le docteur adulte mais on crache sur le docteur en devenir, on paye sans sourciller 500 € en billets au chirurgien mais on refuse un salaire décent aux Internes. On dit que c'est un beau métier mais on n'embauche pas de gens compétents pour organiser les examens qui y donnent accès ! Bref, je souhaite beaucoup de courage aux étudiants qui passent, repassent, re-re-passent le concours "ECN 2011". Le courage, ce sera peut-être, pour certains, de dire merde et de choisir un métier plus tranquille, pas moins bien rémunéré, et – si besoin - encadré par des tutelles plus cohérentes. 

 

BG

Partager cet article
Repost0
27 mai 2011 5 27 /05 /mai /2011 17:17

Je ne sais pas comment qualifier au juste le chef d'oeuvre que nous offre Yves Dauteuille... Je vais commencer par reprendre l'historique. Chacun connaît les petites annonces, où l'on se débarasse en quelques abbréviations d'objets délabrés, où l'on cherche l'oeil impatient la prochaine voiture pas trop abîmée pour son âge. Tout cela est net, propre, austère. "Classified" dit-on en anglais : on n'est pas là pour rigoler.


Et puis avec l'essor d'eBay on a renouvelé le genre, connu le grand frisson. Oublié le papier journal dont l'encre vous restait sur les doigts avec le numéro de téléphone de votre futur logeur, avec eBay on découvrait l'espoir fou - et de fait, rarement réalisé - de pouvoir acheter un appareil photo neuf haut de gamme pour 2 €, tout en vendant l'ancien, en panne, plus cher que son prix neuf. Et puis c'est devenu ch... cher, compliqué, trop de clauses absconses, trop d'arnaques réelles ou supposées, de colis perdus, d'évaluations incendiaires... la passion est retombée, le badaud a fui.

 

Depuis quelques temps, LE vecteur, LA web-surface de vente, c'est évidemment leboncoin.fr. Dissimulant une énorme entreprise Scandinave sous un html beige et dépouillé qui semble dessiné par un grand-père au fond de son garage, leboncoin permet de vendre tout, tout de suite, sans se logger, sans donner son numéro de CB, et en plus, généralement, à son voisin. Sympa, efficace, gratuit. Qui dit mieux ?

 

Mieux ? Yves Dauteuille... dans ce nouvel espace de commerce décontracté surgit la faille. Le grain de sable. L'uniforme débraillé le jour du défilé. Le Tourist Guy, l'anomalie, le truc qui a l'air à sa place alors que sa simple présence brise tous nos repères, bouscule l'ordre établi, souffle le vent revigorant de la subversion. Pas celle des armes, toxique, pas celle des banderoles, inefficace, non, celle de l'intelligence, celle des mots, celle du clin d'oeil...


Avec ses annonces, on ne sait pas trop si on est en face d'une nouvelle forme de terrorisme mental ou d'un nouveau genre littéraire - auquel il faudra donner un nom (des idées ?), ou encore de l'invention du web-land-art, ou du html-mob (je n'ose pas dire flash-mob, sur Internet ça prêterait à confusion)... En tous cas, je vous l'assure, l'Histoire jugera, mais pour moi cet homme est un héros !

 

Allez voir son débarras, vous n'en reviendrez pas les mains vides.

 

 

BG

Partager cet article
Repost0
26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 17:04

 

 

Un « tableau clinique », pour l'étudiant en médecine, c'est à la fois une solive de sa charpente pédagogique, et une gamme aussi fastidieuse à répéter qu'éloignée de la réalité quotidienne de son futur métier.

 

Un tableau clinique, ce n'est ni plus ni moins qu'une énumération de symptômes, dont le regroupement aboutit à un diagnostic. Parfois réduit à un simple – et bancal - « trépied », parfois au contraire long comme une nuit de garde, on introduit ces agrégats informes dans le crâne de l'étudiant à l'aide de moyens mnémotechniques contondants, aussi toxiques et rémanents que quand quelqu'un fredonne « je te survivrai » dans le bus le matin à côté de vous. La masse à compacter est considérable et transforme peu à peu le cerveau en une obscure et dense bibliothèque, où l'espace dévolu au raisonnement est d'autant réduit.

 

Le tableau clinique, c'est aussi le « bon malade », le client parfait, qui présente, ou chez qui l'on relève, l'ensemble bien ordonné des symptômes dont l'addition conduit au « beau diagnostic ». Si l'on y regarde de plus près – ce qui est heureusement fort rare – on réalise que la victoire intellectuelle est finalement modeste, s'agissant d'une opération mentale simplette dont le résultat n'est que mécanique. Notons au passage que ces brillants diagnostics ne supposent nullement qu'on a à leur opposer un beau traitement, efficace et bien toléré. On ne peut pas tout avoir.

 

Mais la Nature est rétive, et les patients, imparfaits. Ils nous arrivent avec des symptômes brouillons, froissés, délavés, semblant prendre du plaisir à tester le toubib en lui déversant leurs souffrances en vrac, dans un amoncellement bien différent de celui édicté à la Faculté par quelque pompeux mandarin. Plaintes détournées, imprécises, ou même cachées par une pudeur incomprise du médecin, elles sont de plus formulées généralement dans une langue basique ignorant tout du lexique médical, imposant au praticien un effort de traduction proprement éreintant. Par exemple, si on parle médecin on ne doit surtout pas dire « Monsieur Durand n'a pas de fièvre », mais « la pancréatite du 27 est apyrétique ». On doit dire « ictère » pour jaunisse, « céphalée » pour mal de tête, « asthénie » pour fatigue, et ainsi de suite. Sinon, ce n'est pas sérieux.

 

Pour être juste, on doit cependant admettre que de nombreux patients sont sincères, ils nous disent toute la vérité, l'organisent, l'aplatissent, la déroulent soigneusement et poliment au pied de nos synapses hippocratiques. Mais alors c'est la Maladie qui tend à tricher avec les frontières rectilignes que nous lui assignons, comme une ethnie se jouant de nos cartes coloniales au XIXème siècle. Tel symptôme se ballade sans ses papiers hors de son écosystème habituel, tel autre manque à la liste qui aurait permis de clouer le diagnostic dans sa boîte cotonneuse, retardant d'autant l'envoi déterminé de « l'arsenal thérapeutique ».

 

Le tableau, comme un vêtement tombant mal, est alors incomplet, discordant, trompeur, refusant obstinément de se laisser capturer, laissant le médecin tout à fait vexé se draper dans une posture offusquée. Le patient doit alors être mis au rebut pour défaut de référencement. L'amour fou voué par notre rationalisme aux catégories soigneusement étiquetées dans une vitrine poussiéreuse ne saurait tolérer pareil affront. Le patient n'a plus qu'à aller se faire voir chez les Internistes, ces derniers chevaliers de la clinique juste et du savoir extensif, capables de déloger le Mal aux tréfonds des patients menteurs, simulateurs, parlant mal français, ou pire encore, porteurs d'une maladie rare.

 

Mais par chance le progrès est arrivé, et aujourd'hui dans la plupart des spécialités la chasse au tableau clinique, si laborieusement apprise, n'a généralement plus grand sens. La plainte est rapidement circonscrite, le patient disposé dans des machines qui font des photos de l'intérieur de son corps, on envoie des morceaux ou des liquides à lui dans des laboratoires, et l'étiquette portant la dénomination - et le prix à payer – peut enfin lui être apposée. Seules persistent encore quelques contrées mal explorées, quelques forêts impénétrables, où survivent les derniers tableaux cliniques, libres, sauvages, ornés de tous leurs attributs... la psychiatrie fait partie de ces domaines encore préservés, malgré la prospection intensive de l'industrie pharmaceutique et les visites de quelques chercheurs passionnés d'exotisme. Je ne manquerai pas d'en donner l'illustration prochainement.

 

 

 

Bertrand GILOT

Partager cet article
Repost0
22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 21:38

 

  centrale

 

Il y a chez l’actuel Président de la République quelque chose qui depuis ses débuts dans la vie publique, agace ses détracteurs et galvanise ses partisans : il bouge, beaucoup et tout le temps, mû par une intelligence dynamique capable dit-on d’embrasser un dossier dans l’instant pour s’éprendre d’un autre l’instant d’après.

Cette énergie manifestement renouvelable épate parfois, épuise souvent, laissant en tous cas peu de répit aux moulins à vent qui encombrent sa route. Mais quel que soit le déplaisir qu’engendre ce spectacle dans la vie politique, ce n’est peut-être pas si grave. Il peut s’agir simplement une variante de l’habit du pouvoir que d’autres ont porté étriqué comme un costume de banquier, rigide comme un drapé de statue ou encore faussement décontracté.

 

Le vrai problème c’est quand ce Président stroboscopique rencontre des enjeux dont la temporalité dépasse ses clignotements. C’est le cas du nucléaire et des questions mises dramatiquement en lumière après la catastrophe Japonaise de Mars 2011.

 

L’homme qui se mesure à l’échelle du microcosme huppé de l’ouest Parisien, qui change d’avis chaque jour et de réforme chaque semaine, nous explique ses conceptions sur le risque nucléaire civil dont les étalons sont la région voire le pays, le siècle et le millénaire. Que nous dit-il ?

Deux mois après Fukushima, alors que le monstre de Tchernobyl fête les 25 ans de son sarcophage mal refermé, le Président nous explique que la peur du nucléaire est une émotion « moyenâgeuse » dont les tenants risquent de faire du tort à toute la société (discours de Gravelines le 3 Mai dernier). En cause dans la balance : quelques emplois, et quelques mégawatts. Selon lui la France serait, à la différence du reste du monde, pratiquement à l’abri du risque, sans que l’on comprenne bien le cheminement logique qui le conduit à cette afficher une telle confiance (sauf à faire injure aux ingénieurs Américains, Russes ou Japonais, les trois pays qui ont connu les accidents nucléaires civils les plus graves). Mais pas de chance, on nous a déjà fait le coup en 1986 du nuage saute-frontières. Certes un audit est promis, on fermera les centrales jugées « dangereuses »… qui peut encore croire ce type d’annonce ?

 

Car parler ainsi c’est faire peu de cas de la réalité. Il faut donc rappeler ce que savent les peureux moyenâgeux, et que le Président feint d’ignorer :

  • - La sûreté d’exploitation des centrales nucléaires nécessite impérativement la réunion de plusieurs conditions. Au premier plan, il faut une maintenance permanente de très haut niveau technique, supposant un personnel formé, disponible, approvisionné en outillage et en équipements adéquats. Je laisse le lecteur se remémorer les dates des dernières guerres, révoltes, grèves générales et attentats terroristes qui ont émaillé les cent dernières années. En cas de pareils désordres, au demeurant pas improbables à moyen terme, nul ne sait dans quelles conditions les installations seraient conduites et sécurisées.
  • - Leur refroidissement requiert par ailleurs d’énormes quantités d’eau, sans que l’on sache bien ce qui adviendrait en cas de sécheresse durable impactant le débit et la température des fleuves (cela s'est produit en 2003)(1), ou encore de marée noire obstruant les circuits des centrales côtières. Faut-il encore parler du risque sismique, qui peut se manifester n’importe où et pas seulement dans les zones déjà connues ? Un détail : ces conditions doivent être réunies sans aucune interruption durant des décennies voire des siècles.
  • - Notre approvisionnement en uranium, qui dépend de pays aussi peu sûrs et stables que le Niger, ne serait assurée, au rythme actuel que pour quelques décennies. Comme le pétrole...
  • - La gestion des déchets courants, reconnus  hautement dangereux pour des dizaines de milliers d'années (!!!)(nb : pour donner l'échelle, la grotte de Lascaux aurait été peinte il y a 16000 ans), est également en trompe-l'œil, se bornant au recyclage d'une infime portion tandis que l'essentiel est exporté vers des zones peu habitées... hors de France.
  • - Les centrales ont une durée de vie limitée. Et alors ? Et alors on ne sait pas ce qu’il faut en faire, une fois qu’elles sont devenues vétustes et inexploitables. EDF nous le démontre brillamment à la minuscule centrale de Brennilis (Finistère), où ce qui devait être un chantier modèle patine d’incidents en imprévus depuis 25 ans, pour un coût vertigineux (482 millions d'euros à ce jour, et en vain, selon la Cour des Comptes). A noter au passage que le coût du démantèlement des centrales n’est quasiment pas provisionné par EDF, et encore moins répercuté sur la facture des ménages, ceci afin de favoriser l’acceptation du nucléaire par la population. L'électricité nucléaire n'est pas bon marché si l'on intègre tous les coûts de la filière - et on ne parle même pas du coût en cas d'accident ! Quoi qu’il en soit personne aujourd’hui ne sait vraiment quoi faire de ces lieux contaminés... on attendra longtemps le « retour à l'herbe » promis par les autorités.
  • - La probabilité d’un accident nucléaire civil grave (fusion du cœur) est estimée, c'est un ordre de grandeur par ailleurs soumis à de fortes critiques méthodologiques, à 0,5 ou 1 pour 10000 « chances » par réacteur et par an (2). Ce chiffre en apparence relativement modéré doit être mis en perspective avec le nombre de réacteurs exploités (59 en France, environ 500 dans le monde) et avec leur durée d'exploitation (au moins 40 ans selon EDF, avec possibilité de prolongation par tranches de dix ans). Ces chiffres « faibles » ne doivent pas faire oublier que chaque occurrence est une catastrophe, dont les conséquences sont insolubles (sanitaires, agricoles, environnementales, industrielles, énergétiques...) et comme on l'a vu au Japon, inassurables. Il sont par ailleurs contrebalancés par l'existence de trois accidents majeurs dans le monde en cinquante ans d'exploitation (Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima) mais aussi de milliers d'accidents « mineurs » et d'incidents imprévus. Le risque existe et la réalité montre qu'il est bien supérieur aux probabilités estimées.
  • - En cas de problème et contre toute logique, les plans de prévention des risques sont bâtis à l’échelle de la commune ou du canton, quand une contamination éventuelle aurait en quelques heures des répercussions à l’échelle régionale au minimum, n'épargnant pas les grandes agglomérations.
  • - En cas d’accident, l’exemple de Fukushima montre à quel point, dès lors que les systèmes de sécurité sont débordés, il n’y a pas, il n’y aucun « plan B ». Enfin si, sur le plan sanitaire, comme cela s’est produit en 1986 et aujourd’hui au Japon, on a une solution simple et pas chère : on relève les seuils de radioactivité considérés comme « tolérables » pour les produits alimentaires et les travailleurs sur site…

 

 

Nous avons vécu quarante ans dans la peur – réaliste - d’une guerre atomique. Le risque aujourd’hui n’en est finalement guère éloigné, il est peut-être pire car moins identifiable, inodore, pacifique, civil... et il fait tourner nos lave-vaisselles ! En France ce risque a dès l'origine été largement minimisé par les promoteurs de la filière comme par les autorités politiques.

 

Avant de laisser chacun juger du caractère « moyenâgeux » de ces inquiétudes, rappelons-nous de quoi étaient faites les grandes peurs du Moyen Age. Peur de l’enfer, de la fin du monde ou du jugement dernier, pour irrationnelles qu’elles nous apparaissent aujourd’hui, ces images symboliques incitaient l’homme à tempérer ses passions, à peser ses actes, à confronter ses désirs aux possibilités offertes par la réalité. A prendre conscience, modestement, que certains de ses choix peuvent déclencher des forces qui le dépassent.

 

A l’ère du nucléaire, l’enfer et l’apocalypse sont à la portée d’un technicien dépressif, d’un kamikaze habile ou d’un aléa géoclimatique. Le monde entier a pu le constater à Fukushima : même dans un pays riche, technologiquement évolué et politiquement stable, il en faut peu pour que notre belle assurance se fissure aussi rapidement qu'un atome de plutonium, et il n'existe ni pays, ni planète de secours. Le monde entier le sait, sauf le Président de la République Française. L’enfer et l’apocalypse nucléaire ne sont pas des fantasmes de hippies rétrogrades : ce sont des risques industriels concrets. Ils doivent être contenus et réduits, impérativement, et c'est urgent. C’est le rôle de l’autorité politique, ce n'est pas seulement celui des ingénieurs, ce n'est pas du tout celui du marché qui n'y voit aucun intérêt à court terme. La position affichée par le Président est une insulte insoutenable à l'intelligence des citoyens et dévoile un manquement inacceptable pour la sécurité de notre pays.

 

 

 

Bertrand GILOT

 

(1) Autorité de Sûreté Nucléaire, rapport annuel 2003

(2) rapport parlementaire Bataille et Galley, 1998

Partager cet article
Repost0
19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 14:58

 

 

Après avoir attendu tout le début de semaine – le temps de voir ce que faisaient mes collègues - c'est décidé, j'ai bien réfléchi, je vais vous révéler toute la vérité qui peut être dite par un psychiatre, sur le fait-divers désormais mondialement connu sous le nom d' « affaire DSK ».

 

Avant cela il est peut-être nécessaire de rappeler ce qu'est un « psy ». Avec des nuances selon le métier exercé (psychiatre, psychologue, psychanalyste, psychothérapeute), on peut résumer en disant que c'est un professionnel de la santé psychologique, formé à diagnostiquer, évaluer et traiter les différentes formes de souffrance mentale ou émotionnelle qui lui sont exposées par des patients. La rencontre, indispensable (que le patient soit volontaire ou non, comme dans le cas des soins sous contrainte), prend la forme d'un « colloque singulier » au cours duquel, par un contrat tacite et non écrit (mais dont les conditions sont encadrées par la loi), le patient offre l'intimité de son fonctionnement psychique en échange de l'engagement, par le praticien, de mettre en ouvre ce qui est utile pour le soulager. Afin d'assurer l'autre condition nécessaire qu'est la « neutralité bienveillante », une rémunération est convenue, qu'elle soit financière ou symbolique, directe ou indirecte, elle permet d'éviter au patient d'être parasité par un sentiment de dette, et aide le praticien à garder une distance suffisante pour être libre dans ses actions (on n'est pas ici dans une aide de type caritatif bénévole). Enfin, le praticien est tenu, par des règles éthiques anciennes (Hippocrate) mais aussi par la loi (secret médical ; loi Kouchner du 4 mars 2002...), de garder une discrétion et un secret absolu tant sur les informations médicales (diagnostic, traitement...) que sur les informations factuelles privées auxquelles les rencontres lui ont permis d'accéder.

 

Dominique Strauss-Kahn, je ne l'ai jamais rencontré, je n'ai jamais eu avec lui un entretien diagnostique (l'examen clinique du psychiatre), il n'a jamais parlé avec moi de son intimité psychique. L'aurait-il fait ? Ce serait alors de l'ordre d'un secret, partagé de manière exclusive entre le patient d'un côté et moi de l'autre, gardien unique désigné par sa confiance.

 

Ben voilà.

 

Oui. Ben voilà. Ca y est ! C'était ça, mon scoop... Y a rien à dire !!!

 

Faut-il dès lors s'interdire de penser, de commenter, de discuter, parce qu'on est « psy »  ? Certes non ! Mais il faut affirmer et affirmer encore que les psys, quels qu'ils soient, quels que soient leur talent et la taille de leur égo, n'ont rien à dire sur les gens qu'ils ont rencontrés (ils n'en ont pas le droit) et encore moins sur ceux qu'ils n'ont pas rencontrés. Dans ce dernier cas, on navigue en pleine spéculation, qui plus est sur la base d'informations forcément parcellaires, dont on apprend souvent a posteriori en ce qui concerne des personnalités publiques, qu'elles étaient fausses ou manipulées. Et pourtant, que n'a-t-on pas entendu depuis dimanche... Il est d'autant plus dérangeant d'observer ce type de dérapage de la part de psychanalystes, Freud lui-même ayant souvent insisté sur le danger des « interprétations sauvages », balancées à la figure d'un patient qui n'en était pas encore là, ou pire encore à propos d'un tiers inconnu, sur la base d'un témoignage.

 

L'avis du psy qui s'exprime sans avoir pu utiliser aucun de ses outils habituels (rencontre, neutralité, secret... ), aura peu de chance d'être meilleur ou plus pertinent que celui du menuisier, du cinéaste, ou de sa concierge. A la rigueur, notre connaissance professionnelle de l'esprit humain nous permet quelquefois de jeter un éclairage intéressant sur tel ou tel aspect d'un personnage connu, ou même sur certaines actions collectives, mais cela doit se faire toujours avec maintes réserves, et dans la retenue. Je peux vous parler de la psychologie de votre tante Marcelle – que vous n'avez pas connue – aussi bien que de celle de Ramsès II, ou de Georges Marchais, je vous raconterai une belle histoire, au sein de laquelle quelques mots feront du sens pour vous... Mais avec quelle fiabilité ? La frontière est étroite avec ce qui relève de l'opinion personnelle. Laquelle est loin d'être sans valeur (en général...), mais ne doit certainement pas être labellisée de l'expertise d'un « pro ».

 

On n'est pas sortis de l'auberge.

 

 

Bertrand Gilot

 

 

Partager cet article
Repost0
12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 13:21

 

(*) Les pauvres préfèrent la banlieue, Etienne LIEBIG, éditions Michalon, 2010

 

51JHjE-mqqL. SS500

 

Sous ce titre provocateur, l'auteur Etienne Liebig, éducateur spécialisé en Seine Saint-Denis, décoche ce livre comme une flèche... qui transperce tous les poncifs sur le sujet sans épargner personne (même pas les psys !).


On y lit, dans un souffle continu, l'inventaire consternant des idées reçues sur la banlieue (idées répandues du bistrot à l'Elysée), des politiques ineptes (ou sadiques ?), des bonnes intentions toxiques et des plans de rénovation dévastateurs. La saine colère qui anime le propos n'enlève rien à la qualité d'un argumentaire acéré, qui remue tout autant les aspects sociologiques, urbanistiques, culturels, politiques, et même anthropologiques. Les quelques statistiques – officielles – qui ponctuent le texte rappellent que la violence existe ailleurs (même à la campagne, où l'on aime à se fiche sur la gueule après le bal du samedi soir), que le taux d'homicides en France reste un des plus bas du monde, que les phénomènes de gangs, rarissimes, ne sont pas le fait d'adolescents des cités. Que non, ni les imams salafistes, ni les cartels de la drogue, n'y font la loi. Que les jeunes issus des quartiers pauvres et désespérés ont de forts risques de rester pauvres et désespérés eux-mêmes.

 

Sa connaissance fine - et surtout, réelle - du milieu lui permet de tordre le cou avec pragmatisme aux théories universitaires parfois entachées d'un regard littéralement colonialiste et aux postures politiques dont l'inefficacité absolue à résoudre les problèmes finit par éveiller plus qu'un soupçon.

 

Il n'en reste pas moins que les pauvres préfèrent la banlieue ! D'ailleurs comme le rappelle Liebig, pauvreté et banlieue sont deux termes inséparables : parle-t-on de Versailles ou de Saint-Cyr au Mont d'Or quand on emploie le mot « banlieue » ?

Ces gens sont déjà supposés fainéants, drogués, délinquants, usurpateurs de la générosité publique (les fameux « assistés » que l'on conspue au Café du Commerce), aux mœurs douteuses (et forcément « tribales »), à la religion étrange (et forcément « fanatisés » !), dont chaque action est interprétée – dans les ministères et les salles de presse - comme une soumission à des préceptes collectifs, on ne leur prête même plus la faculté de faire des choix individuels, d'avoir un regard critique, chacun, sur leur situation. Pourquoi donc les pauvres se cramponnent-ils à ces zones laides exposées à dose maximale aux pires nuisances engendrées par nos sociétés (bruit, pollution, chômage, délinquance, toxicomanie, urbanisme anarchique, transports en commun anémiques, services publics sous-dotés, commerce local fragilisé ou détruit...) ?

 

Face à ce mur d'évidence, la question finit par se transformer, bien sûr : et si cette relégation obéissait finalement à une volonté politique ? Même lorsqu'elle est mue par des intentions bienveillantes, ce qui est loin d'être toujours le cas, même habillée des prétextes les plus crédibles (ou utilitaires, électoralistes, comme dans l'ancienne « ceinture rouge » francilienne), la création délibérée de frontières étanches entre ces deux mondes que sont les banlieues et... la France,  l'autre, celle des centre-villes et des campagnes, apparaît brutale et insoutenable.

 

Il faudrait être bien aveugle pour nier la construction de cette barrière depuis cinquante ans entre la ville, globalement riche, élégante et permettant une certaine mixité sociale, et la banlieue où se concentrent, à l'exception de tout autre groupe social, les plus démunis, les plus paumés, les moins éduqués, les derniers arrivants culturellement déracinés. Leur accès à la ville se limite aux horaires de leur travail généralement pénible et sous-qualifié : et si c'était eux, la France qui se lève tôt ? L'auteur nous rappelle le rôle politique essentiel – à défaut d'un rôle électoral ! - que revêt cet infra-monde : bouc émissaire commode à toutes nos dérives, ennemi intérieur désigné responsable (c'est bien à cause des banlieues qu'il se vend de la drogue en France, non ?), monde oublié de tous et notamment des partis de gauche (trop pauvres pour être socialistes, trop ternes et trop « normaux » pour attirer l'attention des alterquelquechose) comme des syndicats (les chômeurs ne sont pas syndiqués, et les ados à casquette ne savent pas manifester proprement).

 

La conclusion de cet essai est aussi amère qu'inquiétante : en contribuant à éviter les pires explosions de désespoir, les travailleurs sociaux ne sont-ils pas finalement les auxiliaires involontaires d'une politique qui est suicidaire à l'échelle du pays et à moyen terme ? Comment un pays peut-il durablement se couper d'un morceau de lui-même sans risquer la déflagration ? Autrement dit : il est plus qu'urgent d'abattre ces frontières artificielles, sans cela on ne parviendra pas à recréer une citoyenneté qui rassemble, et permette à chacun de trouver sa place, comme nous le promet, et nous l'a longtemps assuré, le contrat républicain. 

 

 

Bertrand GILOT

 

 

Partager cet article
Repost0