Il a fallu bien des hasards pour que je repasse devant ces solitudes cimentées, vingt ans après, par ce venteux matin d'hiver.
Entre les bullzoders les ronces attaquent enfin le colosse abandonné et déchiquètent jusqu'à son parking – même les corneilles n'y croassent plus guère. Mais les couloirs résonnent encore des vociférations terrifiantes de chirurgiens sanguinaires au regard étincelant de folie, amputant à l'aube les jambes glacées des artéritiques sous le regard perdu de leurs élèves maigrissant, humiliés jour après jour et pour certains jusqu'au cancer.
Sabourin, le grand hôpital des phtisiques, autrefois signalé comme un paquebot moderniste accosté à la colline de Chanturgue, a fermé, s'est échoué donc, ne laissant pour squelette que ses vitres brisées, ses carrelages lugubres et ses chambres désertes.
J'étais alors simple témoin, ce qui se nomme « externe » en langue médicale. C'est là qu'à peine sorti des limbes, blouse trop grande et stéthoscope à l'envers, je rencontrai maladroitement mes premières figures du Malade. Au regard déjà creux et aux angoisses vaines de ces pantins docilement offerts aux cruautés prétendument thérapeutiques, je ne proposais que mon oreille naïve, et un paquetage léger de certitudes transparentes. Ils se cachaient une dernière fois derrière quelques stéréotypes pédagogiques, subissant leur ultime présence au monde dans cette atmosphère dantesque et malodorante. Sans m'en rendre bien compte j'étais peut-être le seul à connaître leur nom, à savoir leur métier, leurs enfants, leurs peurs, à interroger leur histoire. Souvent le lendemain ils étaient repartis là où nous irons tous – je le découvrirai plus tard, c'est la nuit qu'on vient les chercher.
Les grands tyrans caractériels, pilotes arrogants du vaisseau de béton dérisoire, les rejoindront un jour, suivis plus tard par leurs panseuses masochistes et sans doute aussi par des nuées de fantômes revanchards.
BG