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9 décembre 2011 5 09 /12 /décembre /2011 22:30

 

sab1

 

 

Il a fallu bien des hasards pour que je repasse devant ces solitudes cimentées, vingt ans après, par ce venteux matin d'hiver.

 

Entre les bullzoders les ronces attaquent enfin le colosse abandonné et déchiquètent jusqu'à son parking – même les corneilles n'y croassent plus guère. Mais les couloirs résonnent encore des vociférations terrifiantes de chirurgiens sanguinaires au regard étincelant de folie, amputant à l'aube les jambes glacées des artéritiques sous le regard perdu de leurs élèves maigrissant, humiliés jour après jour et pour certains jusqu'au cancer.

 

Sabourin, le grand hôpital des phtisiques, autrefois signalé comme un paquebot moderniste accosté à la colline de Chanturgue, a fermé, s'est échoué donc, ne laissant pour squelette que ses vitres brisées, ses carrelages lugubres et ses chambres désertes.

 

J'étais alors simple témoin, ce qui se nomme « externe » en langue médicale. C'est là qu'à peine sorti des limbes, blouse trop grande et stéthoscope à l'envers, je rencontrai maladroitement mes premières figures du Malade. Au regard déjà creux et aux angoisses vaines de ces pantins docilement offerts aux cruautés prétendument thérapeutiques, je ne proposais que mon oreille naïve, et un paquetage léger de certitudes transparentes. Ils se cachaient une dernière fois derrière quelques stéréotypes pédagogiques, subissant leur ultime présence au monde dans cette atmosphère dantesque et malodorante. Sans m'en rendre bien compte j'étais peut-être le seul à connaître leur nom, à savoir leur métier, leurs enfants, leurs peurs, à interroger leur histoire. Souvent le lendemain ils étaient repartis là où nous irons tous – je le découvrirai plus tard, c'est la nuit qu'on vient les chercher.

 

Les grands tyrans caractériels, pilotes arrogants du vaisseau de béton dérisoire, les rejoindront un jour, suivis plus tard par leurs panseuses masochistes et sans doute aussi par des nuées de fantômes revanchards.

 

BG

 

 

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3 décembre 2010 5 03 /12 /décembre /2010 13:06

Les plus attentifs l'auront remarqué, ce blog a subi une paralysie quasi complète, s'aggravant depuis le printemps et jusqu'à maintenant... Quelques articles à peine, pas de suite aux projets annoncés, pas grande inspiration, et puis rien, en dépit d'une actualité qui justifierait largement quelques grains de sel : l'affaire Médiator / Servier (labo qui est en train de mettre sur le marché un nouvel antidépresseur dans des conditions rocambolesques), les projets de réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sous contraintes (et la récente correction du Conseil Constitutionnel sur cette dernière loi), sans compter quelques belles (re)découvertes artistiques, libératrices, allant de la Merce Cunningam Dance Company à Philippe Katerine. Quelques lectures aussi qui mériteraient des réflexions partagées sans doute... Mais rien n'est venu. 

 
Je n'ai pas disparu, pas renoncé, mais manqué de temps, ce qui est un faux prétexte comme toujours, et surtout, de disponibilité pour écrire quoi que ce soit au cours de cette période qui m'a fermement, et douloureusement, rappelé mes obligations dans la vraie vie. 

 

L'été a passé. La tempête a passé, emportant ce qu'elle avait à emporter. Le temps passe aussi pour le bien, l'énergie pointe à nouveau, la page blanche n'a qu'à bien se tenir... merci, amis lecteurs, pour votre patience !

 

Bertrand Gilot


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9 octobre 2009 5 09 /10 /octobre /2009 09:44

C’est un vieux monsieur, propre sur lui, technicien à la retraite, discret et peu loquace, parisien typique quoique dépourvu de la gouaille éponyme, qui a réussi à rendre fous avec ses troubles fonctionnels intestinaux incurables une palanquée de gastro-entérologues réputés et quelques psychiatres. Il a aussi fait une « vraie » dépression, authentique et certifiée, il y a quelques années, qui a bien évolué une fois traitée par le premier antidépresseur venu. D’entretiens creux en discours factuels et évasifs, la question de l’éventuelle somatisation n’a jamais réellement évolué : il s’est toujours situé le plus loin possible des grandes élaborations vertigineuses qui fondent les psychothérapies efficaces.

A force de bricolages médicamenteux tous plus éloignés de leur AMM les uns que les autres, son médecin traitant et moi avons fini par trouver la martingale qui soulage son transit sans attirer la foudre de son cardiologue ni ouvrir un sac de nœuds d’interactions pharmacologiques tentaculaires. Alors, on n’ose plus trop toucher à rien, et on a convenu de se voir trois à quatre fois par an, brèves rencontres au déroulement convenu pour s’assurer en commun que rien ne va plus mal ni mieux qu’auparavant, et qu’on ne change surtout rien au traitement. Attitude qui n’est pas ma préférée, mais qu’il faut savoir adopter de temps en temps dans ce métier.

Et cette fois-ci, dès la salle d’attente, il était évident que quelque chose n’allait pas. Malgré moi je commençais à me raidir, à me préparer à encaisser le choc des ultimes révélations pointilleuses et interminables concernant son gros intestin, son affaire Clearstream portative à lui.

En fait non. Il voulait me dire que sa fille unique, âgée d’une quarantaine d’années et mère d’un enfant, s’est fait écrabouiller par un camion, alors qu’elle circulait à bicyclette. Qu’il n’arrive pas à pleurer, « même au cimetière », et que la douleur lui stagne en dedans, comme immobile, blanche, terne, acide. Qu’il arrive à manger et dormir, à peu près, comme ça, et même à voir des gens. Comme agitant un frêle bouclier, il répète que « c’est dommage », parce qu’elle avait « une belle carrière devant elle ». Il fait très bien la différence. « Je suis malheureux, mais pas déprimé ». Juste malheureux. Infiniment. Pendant nos longs silences, plongé dans son regard lourd et sec, je me suis senti  à côté de lui, sur la plage, au pied d’une falaise de craie blanche dont un pan immense venait de s’écrouler, sans pouvoir le soulager d’aucune manière, sans savoir rien réparer de ces catastrophes là, ni l’aider à remonter ailleurs, ni, non plus, rester auprès de lui dans le froid et la nuit.

 


Ordonnance identique, rendez-vous dans trois mois. Ne rien changer.

- Vous m’appelez si…

- Oui, oui…

Dans ma prochaine réincarnation, je ferai menuisier, ou pilote de ligne, ou constructeur de décors pour le cinéma.

 

BG

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