28 septembre 2009
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Ceux qui ont vécu des traumatismes psychiques, ceux qui partagent leur quotidien et ceux qui les soignent le savent bien, il est de dangereuses blessures qui ignorent le temps qui passe. Des blessures psychiques vertigineuses, conséquences directes d’événements effroyables où tout fut basculé, la conscience de soi, les limites de son corps et de ses perceptions, l’entrechoquement de la vie si fragile et de la mort si brutale. Des avalanches qui dérobèrent le sol des certitudes sur lesquelles on avait négligemment construit son âme. Les études épidémiologiques les plus rigoureuses nous disent que ces confrontations tragiques entraînent des troubles de type « état de stress post-traumatique » dans un quart à un tiers des cas en moyenne, mais parfois beaucoup plus selon les circonstances. Circonstances qui ne manquent hélas ni en quantité ni en diversité dans l’horreur, qu’il s’agisse de drames individuels ou collectifs, publics comme le terrorisme ou privés comme l’accident de voiture, intimes, comme l’inceste, ou spectaculaires comme la guerre. On sait cependant que les troubles sont plus fréquents lorsque l’effraction traumatique est causée par une action humaine volontaire plutôt que par une catastrophe naturelle ou accidentelle. C’est ainsi que le taux de malades monte à plus de 80 % chez les victimes de torture, par exemple, ou même 100 % chez des soldats qui avaient passé plusieurs semaines à enfouir des cadavres avec des pelleteuses.
Le tableau clinique de l’état de stress post-traumatique est clair, univoque et stéréotypé au début, je ne ferai que survoler ici les symptômes principaux : syndrome de répétition (cauchemars récurrents, images ou pensées intrusives…), émoussement affectif et/ou hypervigilance, réactions de sursaut, dépression associée dans 90 % des cas. La caractéristique temporelle intéressante de ce syndrome est l’existence, fréquente (mais non systématique) d’une période de latence, totalement asymptomatique, et pouvant atteindre… plusieurs décennies. Il arrive donc que la malédiction s’abatte trois jours, six mois ou quarante ans après les faits, comme en témoignent certains patients que j’ai pu rencontrer, déclenchant leurs troubles trente ans après la guerre d'Algérie par exemple (j’ai eu du mal à me le figurer avant d’en faire l’expérience par moi-même). Ce tableau clinique se remanie largement au cours du temps, compliquant singulièrement le diagnostic : parfois n’en émergent que des plaintes somatiques (des douleurs, la fameuse sinistrose quelquefois…), une dépression chronique, une "simple" insomnie (attention à l'examen clinique !), des phobies (dont l’objet n’est pas forcément en rapport avec le traumatisme). Quelques patients vont jusqu’à la clochardisation, au suicide, à des passages à l’acte violents et dénués de sens (cf. les vétérans du Vietnam et les fusillades aux USA, mais aussi combien de tyrans domestiques ?). Plus confuse et peu étudiée, est la transition directe (sans état de stress post-traumatique décelable) entre le traumatisme et l’apparition d’une addiction, hypothèse que j’ai abordé dans ma thèse et qui est bien peu documentée. Les addictions sont fréquentes dans les cas d’abus sexuels précoces, tant il est difficile de se fabriquer une histoire viable après ce genre de transgression massive, plus difficile à repousser à l'extérieur de soi car souvent dénuée de menace et de brutalité physique.
Sans soins, le traumatisme ne s’oublie pas, il restera toujours une ombre qui plane, parfois inconsciemment, bien facile à comparer à une épée de Damoclès. Le cinéaste Roman Polanski, a été reconnu coupable d’avoir eu des relations sexuelles avec une mineures de 13 ans, en 1977, qu'il avait droguée et fait boire. Il avait alors rapidement fui ses responsabilités, et les Etats-Unis, pour une contrée qui à l’époque avait l’asile facile (mieux vaut être cinéaste pédophile Polonais qu’universitaire rétrosexuel Afghan ?). Aujourd’hui, la victime dit ne plus souhaiter de poursuites, ce que tout le monde prend pour une justification (depuis quand la victime tient-elle la main de la Justice ?), et une partie du monde artistique et politique s’émeut tout fort que la justice Américaine demande des comptes à ce monsieur. Agé de 44 ans au moment des faits, on ne voit pas bien ce qu’il peut plaider ni ce qu’on peut lui trouver comme circonstance atténuante : avoir du sexe avec une gamine de 13 ans, à 44 ans, je veux bien admettre qu’on était en pleine période David Hamilton et en pleine « libération sexuelle », il n’empêche que c’était un délit pénal dans la plupart des pays, et qu’il a été jugé dans un pays démocratique, et qu’il a fui. La gamine est devenue grande, elle semble avoir réussi à se construire, tant mieux, il n’empêche que cette « expérience » aura indéniablement été pour elle un problème imposé perversement par un tiers ayant sur elle un pouvoir impossible à combattre (asymétrie adulte / enfant, etc.). Or, il n’existe pas de tribunal pouvant prononcer une amnistie pour les traumatismes psychiques, qui puisse décider de les faire cesser ou débuter, continuer ou régresser. A l’intérieur d’une âme brisée ou tordue par le choc, il n’existe pas d’artistes commentateurs autoproclamés pour fustiger la justice Américaine, et il n’existe pas non plus de Bernard Kouchner, Ministre de la République Française - mais ces mots ont-ils encore un sens ? - pour demander aux juges Suisses de ne pas appliquer la loi (!), au prétexte que « les faits datent de plus de trente ans ». Un professeur de gymnastique qui tripote une lycéenne, c’est un monstre qu’il est urgent de lyncher, par contre un cinéaste qui viole une enfant, c’est un génie incompris lâchement persécuté.
Là, je crois bien que c’est moi qui n’ait pas encore tout compris…
BG