C'est terrible, il m'a fallu atteindre la quarantaine pour tomber sur ce texte, édifiant, vivifiant certes, mais aussi vertigineux si on le met en parallèle avec les milliers d'heures suées dès après le bac, à s'encombrer la tête de concepts oiseux et futiles (en plus d'être résolument inopérants) tels que la psychométrie, les évaluations multiaxiales de la personnalité et autres billevesées dignes des médecins de Molière - mais qui font si joli dans les congrès de psychiatrie (énoncer doctement que "la sérotonine est impliquée dans la dépression" m'a toujours paru aussi sot, aussi vain, que de dire "l'opium fait dormir parce qu'il a des vertus dormitives"). Qui font joli, et qui évitent surtout de se confronter à nos lacunes, nos impuissances, nos ratages (sans compter que ça fait rend tellement service aux laboratoires pharmaceutiques, et puis ça rendort les tutelles qui ont, comme ça, l'impression qu'on travaille...).
Je suis tombé sur ces quelques lignes rassurantes - je me sens moins seul, enfin - en tentant, justement, de grapiller quelques miettes de savoir ancien face au constat toujours renouvelé de mes lacunes théoriques (qui prétend n'en avoir aucune me lance le premier Qanûn d'Avicenne en travers de la figure...). C'est du Jung. Oh ce n'est pas bien long, mais par prudence éloignez quand même de vos écrans les jeunes étudiants en médecine et les professeurs de psychiatrie.
"Celui qui veut connaître l'âme humaine n'apprendra à peu près rien de la psychologie expérimentale. Il faut lui conseiller d'accrocher au clou la science exacte, de se dépouiller de son habit de savant, de dire adieu à son bureau d'étude et de marcher à travers le monde avec un coeur humain, dans la terreur des prisons, des asiles d'aliénés, des hôpitaux, de voir les bouges des faubourgs, les bordels, les tripots, les salons de la société élégante, la Bourse, les meetings socialistes, les églises, le revival et les extases des sectes, d'éprouver sur son propre corps amour et haine, les passions sous toutes les formes ; alors il reviendra chargé d'un savoir plus riche que celui que lui auraient donné des manuels épais d'un pied et il pourra être, pour les malades, un médecin, un véritable connaisseur de l'âme humaine".
Carl Gustav Jung
(in : L'âme et la vie, recueil de textes édité en 1963)
BG