12 février 2010
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L'hospitalisation en psychiatrie sous contrainte est parfois nécessaire compte tenu des troubles mentaux présentés, pour la sécurité du patient et/ou celle des tiers. Cette privation de liberté pour des raisons de soins soulève régulièrement des questions et des indignations. Pas toujours dans le sens que l'on imagine...
Si la contrainte est d'usage courant, il faut d'abord rappeler que l'immense majorité des hospitalisations, que ce soit en hôpital psychiatrique ("HP" ou "CHS"), en service de psychiatrie à l'hôpital général ou en clinique privée, se fait sur le mode dit "hospitalisation libre" c'est à dire avec exactement les mêmes dispositions qu'en médecine ou en chirurgie.
Contrairement à la crainte répandue d'un "enfermement à vie" (tel ce qui se faisait au début du XXème siècle), l'évolution des pratiques de soin et la réduction du nombre de lits d'hospitalisation, conduit aujourd'hui à des séjours plus souvent trop courts, que trop longs. De plus une hospitalisation sous contrainte peut répondre à des situations très diverses, et se solde quelquefois par une sortie très rapide, une fois la crise initiale résolue.
La législation actuelle (loi du 27 juin 1990) permet la contrainte sous deux formes, applicables uniquement dans un établissement public :
- l'hospitalisation à la demande d'un tiers ("HDT"), la plus fréquente, visant surtout la protection du patient lui-même, est organisée sur des contingences essentiellement médicales (transports, règles administratives...).
- l'hospitalisation d'office ("HO") est décidée par le préfet, sur avis médical, dans des situations de danger pour autrui. Elle permet la mise en jeu de la force publique (police...) et revêt un caractère plus "administratif" et contraignant. Les sorties de l'établissement, même brèves, y sont strictement contrôlées.
Dans ces deux situations les sorties de l'établissement préalables à la levée de la contrainte (sortie définitive) sont absolument nécessaires car elles permettent d'évaluer les aptitudes et la manière d'être du patient dans son milieu habituel, mais aussi d'y maintenir les liens (sociaux, familiaux...) qui faciliteront sa réinsertion. Dans certains cas particuliers, la "sortie d'essai" peut être durable, permettant au patient d'intégrer la réalité d'un cadre de soin, même sorti de l'hôpital. Cela ne peut pas fonctionner sans rigueur ni responsabilité, mais pas non plus sans souplesse. Dans ce contexte, seuls une infime minorité de malades requièrent des séjours sous contrainte prolongés.
Il serait une nauséabonde régression éthique, et une erreur intellectuelle consternante (en plus d'un choix très coûteux...) d'imaginer que l'on pourrait garder hospitalisée indéfiniment toute personne ayant manifesté, un jour, une heure, un instant, un comportement "potentiellement" dangereux. Ainsi d'un schizophrène qui s'est montré agressif lors d'un symptôme délirant rapidement disparu sous traitement, d'un alcoolique qui se montre calme et adapté une fois sevré, ou d'un adolescent qui a présenté une crise destructrice lors d'une prise de drogue à son insu... On ne parlera même pas des erreurs - non exceptionnelles - d'orientation qui concernent des fêtards un peu trop excentriques, des clochards un peu trop râleurs, ou des couples qui se déchirent un peu trop fort sur la voie publique.
Le pouvoir exécutif actuel a déjà maintes fois manifesté, notamment à la suite de faits divers au demeurant choquants mais rarissimes, le souci de resserrer à l'extrême de ce qui est possible le contrôle et l'asservissement de l'outil de soin psychiatrique à l'autorité administrative. Dernier avatar de cet état d'esprit, disons, particulier, une circulaire récente vient mettre les préfets face à une intenable obligation de résultat, qui devrait les inciter à accorder de moins en moins de confiance aux médecins en charge des patients admis sous contrainte (voir liens ci-dessous). Autrefois invités par la l'esprit comme par la lettre de la loi de 1990, à se fier aux décisions médicales qu'ils ne faisaient que valider, les préfets sans formation ni compétence en ce domaine, se retrouvent à présents comptables devant l'Etat de ce qui peut advenir lorsqu'un malade devra quitter l'hôpital et, Ô frisson suprême, exposer le monde aux risques de sa folie.
On retrouve l'insoutenable soupçon d'inconséquence et la légèreté d'application des principes républicains élémentaires, mais aussi l'ignorance scandaleuse - ou feinte ? - des réalités de toute pratique médicale. Il est une honte absolue d'y lire, cosignée par Madame la Ministre de la Santé, une exigence "d'éléments précis et objectifs". Depuis quand une discipline médicale, quelle qu'elle soit, a-t-elle les moyens de se prétendre "précise et objective" ? Madame la Ministre avait-elle fait la même demande de pronostic aux spécialistes de la grippe ?
Ce que l'on montre là n'est que le mépris de deux siècles de progrès d'une réelle technicité professionnelle, riche de sa diversité d'idées et de précautions éthiques forgées durement au feu des dérives passées. On occulte au passage que les soignants en psychiatrie sont les premiers à avoir, et depuis longtemps, un intérêt direct, permanent et quotidien à ce que toute forme de violence soit toujours le mieux possible prévenue, évitée et si besoin, contenue.
Ce que l'on exhibe enfin jusqu'au ridicule, c'est, une nouvelle fois, une mesure qui se montrera contre-productive : désormais, quel patient vaguement instable osera-t-il pointer sa folie à la consultation, sachant ce qu'il risque ? Quel psychiatre osera-t-il faire entrer un jeune malade un peu turbulent dans un carcan aussi désespérant et injustifié de contrainte et d'exclusion ? En transformant cet outil thérapeutique, cadre hier utile et cohérent, en système agressif restreignant et malcommode, c'est l'Etat qui se révèlera dangereux pour les malades dangereux : est-ce bien son rôle ? Et comment fera-t-on face aux conséquences déjà prévisibles sans guère de doute : augmentation des fugues d'un lieu de soin devenu oppressant car dénué de portes, augmentation des ruptures de soins face à des liens devenus menaçants, et hélas, probable explosion de toutes sortes de passages à l'acte. Prévoit-on déjà d'y répondre par de nouvelles restrictions de liberté ? Jusqu'où ? Par quelles pensées sont soutenus ces actes-là ? Si c'est la réduction des risques qui est bien l'objectif sincèrement visé, ce dont on peut douter de plus en plus, ce n'est certainement pas la destruction de la confiance qui y conduira.
Dr Bertrand GILOT
à lire pour en savoir plus :
http://www.mchiebelbaratopa.com/2010/02/psychiatrie-circulaire-du-11-janvier.html
http://www.lyon-communiques.com/communique.php?id=45454
et
http://www.collectifpsychiatrie.fr/spip.php?article105