L’analyse des chiffres publiés par l’ONCFS concernant les accidents de chasse est édifiante. Le nombre d’accidents de chasse mortels oscille entre 15 et 40 par an, la baisse relative des années précédentes semblant terminée avec 21 morts la saison 2008-2009, et un début de saison 2009-2010 marqué par quelques drames sanglants. Nous n’évoquerons pas ici le sort des blessés (150 à 200 par saison, soit un par jour en saison de chasse, tout de même…). Ne sont pas comptabilisés les accidents liés à la manipulation des armes de chasse hors contexte, rattachés aux accidents domestiques.
Nous l’avons déjà écrit dans ces colonnes, la criminalité liée aux malades mentaux est très faible. Elle est difficile à quantifier directement, mais l’on sait que l’immense majorité des 1000 homicides annuels en France sont commis par des gens « sains d’esprit ». Une lecture attentive des médias depuis de longues années sur ce point me fait évaluer à environ 12 cas par an les homicides réellement commis par des personnes atteintes de maladie psychiatrique grave et du fait même de leur maladie (exemple typique : le meurtre commis par obéissance à des hallucinations auditives).
Concernant la nature des victimes, une étude montre que la grande majorité des cas d’homicide (87,5 %) de malades mentaux concernent des personnes de leur entourage immédiat.
Qu’en est-il dans le monde de la chasse ? Selon l’ONCFS toujours, 62 % des victimes sont eux-mêmes des chasseurs, « postés » ou « traqueurs » et 6 % des accompagnants. Remarquable symétrie, selon une autre source seulement 14% des victimes sont des « non chasseurs ».
Dès lors il est intéressant de comparer ces deux populations. L’une a été surexposée par les médias et les plus hautes autorités du pays comme étant une fraction dangereuse nécessitant surveillance et méfiance. L’autre attire traditionnellement une large sympathie, au delà des clichés railleurs, notamment dans le monde rural ou semi-rural, elle ne suscite guère les critiques que de quelques militants écologistes et bénéficie plutôt d’un regard bienveillant des politiques qui y voient une réserve d’électeurs facile à satisfaire. Et l’on n’en parle jamais. Qu’en est-il de leur dangerosité respective ?
Concernant la schizophrénie, on peut estimer le nombre de malades en France entre 400 et 600 000, nous considérerons ce dernier chiffre comme une bonne approximation, quitte à le surestimer notamment parce que l’on ne dispose pas de chiffre fiable concernant d’autres pathologies pouvant entraîner des actes homicides et notamment la psychose paranoïaque. Les chasseurs se comptent plus facilement puisqu’ils sont inscrits à une fédération, on en dénombre 1400 000. Leur activité ne dure cependant que de Septembre à Février, environ six mois par an, la moitié de l’année. La maladie mentale s’exprime hélas tout au long de l’année : pour établir une comparaison pertinente nous devrons donc imaginer de doubler fictivement le nombre d’accidents de chasse mortels soit 40 cas/an, en faisant l'hypothèse que la mortalité serait identique durant la saison d’été.
Nous obtenons donc une mortalité induite par individu :
* chasse extrapolée sur 12 mois : 40 morts pour 1 400 000 chasseurs = 0,0000285 accident mortel par chasseur
* psychoses chroniques : 12 morts pour 600000 malades = 0,00002 homicide par malade
Tout cela reste évidemment une grossière approximation, qui demanderait de larges compléments pour être totalement valide : recueil de données plus exhaustif, méthodologie statistique plus élaborée nous manquent au premier plan. Nous n'avons pas pris en compte le fait que la chasse n'est ouverte qu'un à deux jours par semaine, par exemple, durant la saison d'ouverture. Néanmoins, ce calcul nous indique que le danger n’est pas forcément toujours, et pas forcément uniquement, là où l’on attire votre attention. Cela permettra peut-être aux gens qui vivent à la campagne ou dans les petites villes, de réaliser qu’ils courent plus de risques de tomber sous les balles d’un chasseur que sous les coups d’un malade mental en rupture de soins psychiatriques. En réalité peu l’ignorent : en bordure de la petite ville où j’ai grandi, on ne comptait plus les chats et les chiens tués par les chasseurs, les impacts de balle sur les maisons et les plombs fichés dans les volets, les adolescents mis en joue parce qu’ils passaient en VTT sur le même chemin que les hommes en kaki. Quant aux non-respect, courant, des frontières de territoires, c'est assez simple bien que cela nous renvoie à des temps très anciens : c'est celui qui est armé qui a raison. Un dimanche paisible, un avion de l’aéroclub avait réussi à se poser en catastrophe avec la voilure déchirée par des plombs de chasse… Tant que ça reste un loisir…
De plus tout cela doit être relativisé compte tenu de l’équipement du chasseur moderne. A la lecture de quelques anecdotes (voir par exemple ici) on apprend que la chasse se pratique sans complexe dans le brouillard le plus épais, que certains fusils ont une portée de 3 à 4 km (l'éloignement règlementaire par rapport aux maisons étant de 150 mètres…), qu’il suffit d’un arbre un peu dur ou d’un sol un peu gelé pour qu’une balle perdue ricoche et vous traverse la carotide pendant votre jogging, voire quelquefois dans votre canapé, qu’il est assez courant de tirer dès que la végétation bouge un peu et sans vision directe de la proie, ou que certains partent baïonnette au canon malgré une maladie de Parkinson évoluée ou une acuité visuelle très déclinante. Fort heureusement (1) on apprend que les problèmes liés à l’alcool n’existent pas : « si l’on boit, c’est après ». Au final, on se dit presque joyeux, que ça pourrait être pire.
Alors que faire face à cette accumulation de tragédies, qui serait tout aussi spectaculaires que les meurtres de fous si l’on faisait venir les caméras de télévision zoomer sur la plaie béante de la belle-fille du maire déversant son cerveau désormais sirupeux dans la terre humide de sa région natale ? Faut-il envisager les mêmes méthodes que celles évoquées par le Président National® l’année dernière au sujet des malades mentaux ? Installer un tracker GPS dans chaque paire de bottes ? Exiger une expertise médicale et psychiatrique approfondie pour chaque permis de chasse ? Limoger les préfets incompétents, fustiger les présidents de chasse inconscients de l’intérêt général et les pratiquants aveuglés par leurs traditions ? Leur faire rembourser les frais de soins, de SAMU, de convalescence de leurs victimes, ainsi que les frais d’enquête et de procédure ? Ou leur couper leurs prestations sociales, ou les renvoyer dans leur… heu, non rien, je m'égare, on finirait par trouver normaux des discours qui ne le sont pas.
Ou plus probablement, ne rien faire et surtout ne rien dire, parce qu’un chasseur ça vote, à la différence de bien des fous, et c’est armé, à la différence de tous les psychiatres ? Si vous croisez le Président, dites-lui bien que si l’on veut réellement moins d’homicides en France, il faut s’en prendre à tous ceux qui en commettent, fût-ce par folie ou imprudence, c’est la règle de l’Egalité républicaine qui lui enjoint...
Bertrand GILOT
Ref : 1. magazine Modergnat n°59, décembre 2009