C’est La Revue Prescrire de Février qui nous le signale : la sertraline (ZOLOFT®), un ISRS parmi d’autres, vient de s’enrichir de pas moins de TROIS nouvelles indications thérapeutiques d’un coup. Cette merveille pourrait constituer une formidable nouvelle. Ce n’est pas le cas.
Cette extension de l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) Française fait suite à une procédure européenne d’harmonisation. Les nouveaux troubles concernés sont : l’état de stress post-traumatique, le trouble anxiété sociale et le trouble panique avec ou sans agoraphobie. Il faut les ajouter à la liste déjà longue de pathologies indiquées chez l’adulte : états dépressifs majeurs, traitement préventif des récidives dépressives, troubles obsessionnels compulsifs (TOC), trouble anxiété généralisée. Et aussi : TOC chez l’enfant.
Ces troubles sont de diagnostic délicat, lent ( !) et incertain. Hormis la dépression, il n’y a d’ailleurs pas de consensus au sein des psychiatres pour les considérer forcément comme des maladies, encore moins pour en faire des indications formelles de traitement par antidépresseurs. Le trouble post-traumatique s’associe dans plus de 90 % des cas à un syndrome dépressif sévère. Les antidépresseurs y sont peu efficaces. Que traite l’ISRS dans ce cas ? Un petit peu la dépression, mais certainement pas le cœur l’état de stress post-traumatique lui-même ! Concernant les attaques de panique, il faut rappeler avec Prescrire que le meilleur rapport bénéfice/risque est obtenu non pas avec un traitement au long cours par antidépresseurs, mais avec la prise ponctuelle d’anxiolytique. Pour ce qui est du TOC, il faut redire à quel point la « vraie » maladie, grave, est tout à fait rarissime (moins de 0,5 % de la population, disait-on avant une modification des critères concomitante de la mise sur le marché des ISRS…). Ce qui est fréquent par contre – et qui ressemble beaucoup - ce sont les traits de personnalité obsessionnels, réactivés à la moindre situation stressante. Enfin, la « phobie sociale »… on commence à oser le dire, si elle ressemble à certains symptômes rencontrés chez des personnes gravement malades, n’est en tant que telle probablement qu’une invention du marketing des laboratoires pharmaceutiques, justifiant de mettre sous antidépresseurs tous les timides de la Terre.
Mais ces diagnostics sont bel et bien répertoriés dans le DSM. Cette classification (et sa proche cousine la CIM), sont de formidables outils intellectuels, construits spécifiquement pour la recherche et l’épidémiologie. Par paresse d’esprit (entre autres), les enseignants de la discipline les enseignent comme des grilles de lecture clinique, des outils de diagnostic auprès du malade, un usage auquel elles sont totalement inadapté.
Comme elles sont simples à contraindre aux outils modernes (informatique…) et revêtent les habits sophistiqués de la rationalité (jargon, codification en stades, degrés, groupes et sous-groupes…), elles ont dans le même temps été digérées et hissées au rang de vérité absolue par tout ce que les ministères et les hôpitaux comptent de technocrates, toujours très inquiets face à la matière molle, libre et indéfinie qu’est pour eux l’étude du psychisme et de ses maladies. Des listes de symptômes à observer de loin et à cocher, c’est tout de même plus pratique que des notions subtiles, diachroniques, subjectives, nécessitant de l’attention, de l’empathie et de la patience, comme en distillait par exemple l’enseignement clinique « d’autrefois ».
Or les « symptômes » en psychiatrie ne sont la plupart du temps que l’exagération (quantitative), la déformation ou le décalage par rapport au contexte d’émotions et de manières d’être qui sont considérées ailleurs comme normales. Il faut donc un grand recul et une certaine expertise – et souvent, beaucoup de temps - pour établir un diagnostic de façon fiable.
Le résultat c’est qu’aujourd’hui les médecins généralistes – dont on rappelle qu’ils sont à l’origine de 85 à 90 % des prescriptions d’antidépresseurs – se retrouvent avec dans leur trousse un véritable miracle : des médicaments, les ISRS, supposés « traiter », toutes certitudes scientifiques à l’appui, 7 ou 8 indications regroupant quasiment toute forme de souffrance morale située hors des limites de la pure folie. Une lecture rapide et superficielle des critères de ces « troubles » permettrait d’y inclure peu ou prou les 97% de la population qui ne sont pas psychotiques. Fort heureusement le médecin ne se résout pas à une lecture rapide et superficielle. Il lit, analyse, observe. Mais quelle que soit son attention consciencieuse, faute d’être formé à d’autres outils (diagnostiques et thérapeutiques), il ira presque obligatoirement à la surprescription face à ses doutes, pour « assurer », pour avoir l’impression de répondre efficacement à la souffrance de ses patients. Il exposera ainsi durablement ses patients aux effets secondaires méconnus mais parfois tragiques des ISRS, d’autant plus durablement qu’il est très difficile d’arrêter une prescription instaurée sur des bases peu claires. Face à ses doutes, il a des traitements à proposer qui « devraient marcher un peu sur tout ». Qu’importe si le problème est une dépression anxieuse ou une anxiété déprimante, qu’importe si c’est une mauvaise passe ou un trait inscrit dans la personnalité : le traitement est le même ! En face, qui ? Des psychiatres injoignables ou débordés ou qui refusent d’exercer leur compétence en psychopharmacologie sous divers prétexte lacanoïdes, et des autorités qui font semblant de croire que dix ans sous ISRS (dont trois tentatives de suicide, une hospitalisation pour chute et une autre pour hépatite toxique) coûtent moins cher à la société qu’une prise en charge psychothérapeutique.
Alors, non, définitivement non, l’extension des indications des ISRS n’est pas une bonne nouvelle pour les patients.
Bertrand Gilot